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Pour débattre à la gauche du PS. Un texte d'Eric Dupin (Rue 89)

Mélenchon KO : le couple du Front de Gauche en grand péril (Eric Dupin)


Après la défaite de Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont, l’alliance originale du Parti de Gauche (en déroute) et du PC (en déclin) est soumise à rude épreuve.


Mélenchon a commis la faute politique de défier Marine Le Pen à Hénin-Beaumont sans analyser de manière réaliste la situation locale. Il a cherché sa revanche contre la dirigeante du FN, qui l’avait dominé lors du scrutin présidentiel, au risque d’aggraver les divisions d’une gauche déjà fort mal en point dans le secteur. Loin de parvenir à « éradiquer politiquement » l’extrême droite, son initiative a sans doute renforcé les chances de victoire de son leader.

Les limites de l’antifascisme virulent

Son élimination dés le premier tour dans la onzième circonscription du Pas-de-Calais augure mal de la suite des évènements pour le couple Parti de Gauche - Parti communiste. Le Parti de Gauche devrait se contenter d’un seul député. Et nombre de députés sortants du PCF sont devancés par le PS.

Le coprésident du Parti de Gauche a négligé l’enracinement limité de sa famille politique dans cette circonscription. Il n’est jamais très bon signe de devoir faire venir des militants de l’extérieur. Mais c’est surtout l’orientation de sa campagne qui est à l’origine de son insuccès. L’antifascisme virulent, promettant au FN de « raser les murs », ainsi que le recours à des références idéologiques et historiques éloignées des préoccupations de la population ont prouvé leurs limites.

En bon militant du mouvement ouvrier, Mélenchon a réagi avec une dignité responsable à sa défaite. Il n’a pas pu néanmoins s’empêcher de s’en prendre aux sondeurs, alors même que ceux-ci se sont plutôt trompés en sa faveur... Et il s’est gardé de la moindre autocritique.

Le Parti de Gauche en déroute

Au-delà de cette mésaventure, le jeune Parti de Gauche sort en triste état de l’épreuve législative. Ses candidats sont presque partout éliminés dès le premier tour, devancés par le PS et dans l’incapacité de se maintenir. C’est le cas de Martine Billard, député sortante, à Paris. Tous les espoirs du PG ont été sévèrement déçus, qu’il s’agisse de François Delapierre dans l’Essonne, d’Eric Coquerel en Corrèze ou encore de Corinne Morel-Darleux dans la Drôme.

Le seul député qui portera les couleurs de ce parti au Palais-Bourbon (trois sortants) sera sans doute Marc Dolez, député du Pas-de-Calais, qui avait publiquement émis des réserves sur la stratégie de Mélenchon à Hénin-Beaumont.

Le PG est ainsi pris au piège du partage des rôles qu’il avait accepté avec le PCF. La direction communiste avait accepté la candidature présidentielle de Mélenchon en échange de la part du lion des investitures législatives. Fort de son réseau d’élus locaux, le Parti communiste était légitime à représenter le Front de Gauche dans la grande majorité des circonscriptions. Le PG souffre, pour sa part, d’une implantation beaucoup plus faible et d’une jeunesse qui le prive de bastions.

Le Parti communiste en déclin

Mais la direction communiste a, elle aussi, de sérieuses raisons d’être mécontente de ce premier tour. En dépit de la bonne performance de Mélenchon le 22 avril, le PCF va voir le nombre de ses députés diminuer alors même que la gauche s’apprête à retrouver la majorité à l’Assemblée nationale. L’Humanité se plaint amèrement de « l’effet bipolarisation ».

Beaucoup de députés communistes (ou apparentés) sortants ont été devancés dimanche par les candidats soutenus par le PS (ce qui signe normalement leur élimination en vertu de la « discipline républicaine » à gauche). C’est le cas de Jean-Pierre Brard ou encore de Patrick Braouezec en Seine-Saint-Denis. Dans les Hauts-de-Seine, les deux circonscriptions communistes ont vu le PS arriver en tête. Même cas de figure dans un autre département de vieille implantation communiste, en Seine-Maritime, qui perdra ses deux députés PCF.

Au total, seule une dizaine de candidats du Front de Gauche devraient devenir députés le 17 juin contre 21 dans l’Assemblée sortante. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a déjà fait ses calculs et demandé un nouvel abaissement du nombre minimal d’élus nécessaires à la constitution d’une groupe (15 aujourd’hui).

Des perspectives stratégiques différentes

Dans le malheur, beaucoup de couples se disputent et finissent parfois par se séparer. C’est ce qui menace aujourd’hui le Front de Gauche. Cette alliance originale – qui a eu le mérite de revigorer les militants communistes et aussi d’attirer une nouvelle génération à l’engagement politique – va être soumise à rude épreuve.

Chacun sait que les perspectives stratégiques du PG et du PCF n’étaient pas identiques. Le premier a clairement annoncé qu’il n’entendait pas participer au gouvernement alors que les dirigeants communistes ont indiqué qu’ils se décideraient après le scrutin législatif.

Leur affaiblissement parlementaire et la perspective, désormais probable, d’une majorité absolue du PS et de ses satellites à l’Assemblée nationale compliquent encore la définition d’une ligne commune. Il sera difficile, pour le Front de Gauche, de peser sur le gouvernement dans une Assemblée où leurs votes ne seront pas décisifs. Et il sera plus périlleux encore d’opter pour une stratégie du recours misant sur l’échec de la présidence Hollande.

Le Front de Gauche pèsera institutionnellement moins que des écologistes qui, par la grâce d’une entente avec le PS, devraient envoyer de 16 à 18 des leurs au Palais-Bourbon. Mais les socialistes auraient tort de l’enterrer. La bataille présidentielle a prouvé l’existence d’une sensibilité répandue dans le pays à la gauche du PS. La démarche du Front de Gauche a intéressé nombre de syndicalistes. Sa survie suppose néanmoins que ses dirigeants aient le courage d’une analyse lucide de leurs échecs.
 

Un commentaire à partir de cet article d'Eric Dupin

Ce qui doit être au centre de la réflexion de ceux qui gardent le cap de l'alternative, c'est qu'après l'échec du NPA à concrétiser l'espoir qu'il avait fait naître (je n'entre pas dans l'analyse de ses causes, j'ai eu l'occasion de les exposer ailleurs, voir lien ci-dessous), nous avons l'échec du Front de Gauche à faire fructifier le frémissement qu'il a suscité à la présidentielle : l'échec du NPA est, à cette élection, ...électoral, celui du FdG est électoraliste ! La nuance est importante : dans le premier cas, malgré l'importance que les élections ont dans la stratégie du NPA et, de ce point de vue, l'échec est patent, le centre de gravité de ladite stratégie est le mouvement social dans son autoaffirmation et sa pleine autonomie. On peut, à ce propos, envisager tous les cas de figures : qu'un mouvement social provoque des élections anticipées et que, celles-ci puissent peser en retour sur la mobilisation; que des élections favorisent une radicalisation sociale, etc. 

Le fait est que l'échec électoral du NPA ne relève pas, par ce rapport stratégique au social, de cet absolu que certains anticapitalistes pressés usent envers lui et le reste de l'extrême gauche (l'échec du FdG n'étant, lui, que relatif ! Donc tout va bien, ouf !) : il a à retravailler sa construction, voire à engager une reconstruction et à apprendre à résister au reflux des mobilisations...Mais l'affaire est autrement corsée pour une coalition qui, non content de faire de la "révolution par les urnes", donc des élections, l'alpha et l'omega de sa stratégie, joue ouvertement la carte d'une instrumentalisation/limitation de la mobilisation sociale à ces fins électorales. 

Le positionnement de Mélenchon, du PG, du PCF et donc de tout le FdG dans sa configuration du moment, lors de la grande mobilisation en défense des retraites de 2010, est plus que révélateur de ce que je dis : ils ont tous dit OK pour la mobilisation (grèves et manifs) mais sont sciemment restés dans la roue des principales directions syndicales qui pourrissaient le développement du mouvement. Ce suivisme n'est pas anecdotique mais révélateur de l'essence même du mélenchonisme et de son croisement avec la stratégie d'un PCF sans plus de ressort "rupturiste" : les grèves et les manifs n'ont d'intérêt dans cette orientation que pour radicaliser les discours électoraux et déléguer du feu social aux appareils d'élus. Un mouvement autonome du social inventant ses propres réponses politiques où les différents partis soumettraient leurs propositions est impensable au Front de Gauche. Et la campagne de Mélenchon à Hénin-Beaumont est, à sa manière, significative de ce substitutisme congénital du FdG par rapport aux réalités de terrain : jusqu'à la caricature avec le parachutage d'une star pour combattre la star du FN. Tapie, à sa bien particulière façon, s'était essayé à cette grotesque parodie de lutte "spectaculaire", donc substitutrice et foncièrement impuissante à faire prendre en charge par le peuple la question posée, contre l'extrême droite. Je sais, le rapprochement n'est guère flatteur pour Mélenchon mais il contient son grain de vérité.

Il y a donc à se poser la question du rapport du FdG à son échec électoral qui le touche au coeur de sa démarche politique ainsi qu'à son rapport au mouvement social qui pourrait bien, politique austéritaire "de gauche" oblige, se décider à combler par lui-même les carences des "politiques" : beaucoup qui, pour le coup, absolutisent les séquences électorales (exemple : Gauche Anticapitaliste frustrée de son approche magique de la "dynamique" mélenchonienne de la présidentielle !), ont perdu la boussole du mouvement social et commettent l'erreur des "penseurs" médiatiques qui tardent à l'envisager comme pouvant ressurgir et ne pensent qu'élections en "oubliant" le rapport plus que problématique du FdG envers les mobilisations sociales... Quand ces mobilisations dans la rue, les quartiers, les entreprises, reviendront, une nouvelle heure de vérité sonnera pour les "alternatifs" au capitalisme : le FdG recommencera-t-il à s'aligner sur l'impuissance (?!) des directions syndicales ? Le NPA parviendra-t-il à reconstruire ses équipes syndicales, si tant est qu'il ait vraiment tenté de les construire ( à mon avis c'est là une de ses carences majeures et explicatives de sa crise)... Toutes réflexions qui ne signifient pas l'abandon de la question électorale mais qui la replacent...à sa place, hors de l'actuelle surévaluation qu'en font le FdG mais aussi GA et bien d'autres qui, au demeurant, n'arrivent pas à penser ...leur propre échec induit par ladite surévaluation !

Voilà comment je vois la situation d'échec, à des degrés divers (hors des ridiculement binaires et primaires "relatif/absolu"), des gauches à la gauche du PS...

Antoine (comité NPA du Pic-Saint-Loup)


[tiré de Clarté à gauche pour (com)battre la droite]

A lire aussi d'Eric Dupin :

Le dossier Front de Gauche du blog. Voir aussi A la gauche du PS.







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