"Jean-Marc Ayrault, a prévenu : la transition énergétique "ne devra pas passer par une diminution de notre compétitivité". [...] Arnaud Montebourg, n'a cessé de
réaffirmer l'intérêt stratégique du gaz de schiste et l'avenir du nucléaire." (Le Monde, lire ci-dessous)
Graine de révolte au pays du gaz de schiste
LE MONDE | • Mis à jour le Par Philippe Bernard
Un site d'exploitation de schiste dans le Dakota, aux Etats-Unis. | AFP
Le 6 novembre, le résultat du vote des 80 000 habitants de Longmont (Colorado) a fait moins de bruit que la réélection de Barack Obama. Marquant le début d'une fronde citoyenne contre l'exploitation du gaz de schiste, il pourrait compliquer
la stratégie énergétique d'un président qui compte sur les immenses
réserves du pays en gaz pour réaliser l'une des promesses phares de sa
campagne : l'indépendance énergétique des Etats-Unis en 2020.
Ce jour-là, en même temps que le choix du président, les électeurs de
cette cité résidentielle nichée au pied des Rocheuses étaient aussi
invités à se prononcer sur une proposition de texte interdisant la fracturation hydraulique (fracking) sur le territoire de la commune. Cette technique, la seule permettant aujourd'hui d'exploiter le gaz de schiste, consiste à fracturer les roches du sous-sol en injectant à très haute pression de l'eau mélangée à du sable et à des produits chimiques, afin de faire jaillir le gaz. Pareils forages font courir le risque d'une contamination des nappes phréatiques et rejettent dans l'atmosphère une importante quantité de méthane.
A Longmont, les 500 000 dollars (386 596 euros) investis par les compagnies gazières dans une campagne de mailing et de publicité destinée à convaincre de l'innocuité de cette technique créatrice d'emplois et à tuer dans l'oeuf le référendum n'ont pas suffi : par 59% contre 41%, les habitants ont approuvé l'interdiction.
"MÉPRIS DES FAITS"
Ce vote "ignore notre besoin crucial du gaz et de ses dérivés pour produire de l'électricité et répondre aux besoins du commerce et des transports", a protesté l'association des producteurs de gaz du Colorado, tandis que sept anciens maires de la ville ont fustigé "les accusations sans fondement sur la santé et la sécurité de notre communauté", dénonçant la "guerre au fracking" menée "par des militants au mépris des faits". Les producteurs s'apprêtent à porter plainte pour entrave aux droits de forages qu'ils ont acquis en ville. Ils entendent aussi réclamer à la municipalité des indemnités pour les propriétaires des terrains concernés.
Les industriels ne sont pas les seuls à préparer la contre-offensive. Le gouverneur (démocrate) du Colorado, John Hickenlooper, menace d'attaquer en justice la ville de Longmont, arguant que seul l'Etat a le droit de réglementer les forages. Il faut dire que, pour sa campagne électorale de 2010, le gouverneur, ancien géologue dans une compagnie de forage, a reçu 76 441 dollars (59 103 euros) de l'industrie gazière, d'après la liste des contributions rendues publiques.
En face, les opposants au gaz de schiste exultent et saluent un "soulèvement citoyen". Leur mouvement a démarré en 2011, lorsqu'il a été question d'implanter un puits de forage à proximité d'un collège et d'un lac apprécié des baigneurs. L'alerte avait été sonnée par la publication d'une étude de l'université du Colorado, selon laquelle les personnes vivant dans un rayon d'un demi-mile (805 mètres) autour d'un site de fracturation hydraulique sont exposées à des rejets toxiques cinq fois supérieurs aux normes. Rapidement, 8 200 signatures ont été collectées pour que soit soumise au vote la question de l'interdiction.
TÂCHE D'HUILE
Il s'agissait moins de défendre une cause planétaire que de protéger sa famille, sa maison et son jardin. "Nous avons montré que l'argent des pétroliers ne leur permet pas toujours de gagner et que notre droit constitutionnel à la santé, à la sécurité et à la protection de la propriété n'est pas à vendre", se félicite Michael Bellmont, l'un des initiateurs de la campagne. Depuis le 6 novembre, la protestation a fait tâche d'huile dans les villes environnantes où les puits ont poussé comme des champignons, y compris en plein milieu de lotissements, et où des norias de camions approvisionnent en eau les sites de fracking.
La fronde de Longmont n'est pas le premier mouvement anti-gaz de
schiste aux Etats-Unis depuis que la ruée vers le gaz, partie du Texas, a
semé des centaines de milliers de puits dans le Dakota du Nord, en
Pennsylvanie et dans le Colorado. Dans son documentaire choc Gasland, Josh Fox a filmé l'eau qui s'enflamme en sortant de robinets à Dimock (Pennsylvanie), où l'on extrait le gaz de schiste. Dans l'Etat de New York, Lady Gaga et Yoko Ono ont rejoint la contre-croisade.
L'initiative discrète mais radicale des citoyens du Colorado, restés
jusque-là en dehors des radars militants et médiatiques, pourrait donner une autre dimension au débat, après la présidentielle. L'organisation écologiste Sierra Club vient de lancer une campagne destinée à faire pression sur l'administration Obama en faveur d'une réglementation plus stricte d'un secteur qu'elle qualifie de "sale, dangereux et incontrôlable".
La prochaine salve pourrait venir de Promised Land, un film anti-fracking. Matt Damon y campe un représentant d'une compagnie gazière chargé d'obtenir
des droits de forage de petits paysans frappés par la crise. Avant même
la sortie du film, en décembre, la polémique a commencé : les partisans
du gaz de schiste soulignent que le film a été cofinancé par une
société détenue par les Emirats arabes unis dans le but de perpétuer la
dépendance américaine à l'égard du pétrole étranger.
Philippe Bernard
A lire aussi
Gaz de schiste : «Le monde politique est tétanisé par la peur de manquer d'énergie»
Le débat sur le gaz de schiste enflamme (aussi) la Tunisie
En effet, nous n’avons pas la même vision du monde (Greenpeace)
Extrait
Le débat sur le gaz de schiste enflamme (aussi) la Tunisie
En effet, nous n’avons pas la même vision du monde (Greenpeace)
Extrait
Nous sommes convaincus que ce débat sur la transition énergétique n’aura d’autre utilité que
de maintenir le système existant. Le gouvernement va jouer avec le mix
énergétique : un peu plus de renouvelables par ci, un peu moins de
nucléaire par là, une bonne dose d’hydrocarbures de schistes par-dessus
tout ça et le tour est joué. Dans la charte du débat rédigée par le
gouvernement, la maîtrise de la consommation et l’efficacité énergétique
ne sont même pas évoquées. Dans ces conditions ce sera sans nous. Nous
ne voulons pas servir de caution verte à un gouvernement dont nous
pensons qu’il a abandonné toute volonté de défendre l’environnement.
Quand nos dirigeants seront prêts à amorcer une véritable transition
écologique et à faire de l’environnement une formidable opportunité pour
notre pays, nous pourrons nous rasseoir à la table des discussions. En
attendant, rendez-vous est pris sur le terrain.
Notre dossier Ecologie
Et aussi
Climat : à Doha, négociation à petits pas sur fond d'émissions records de CO2