Où va Syriza ? Par Panos Petrou
Traduit de l’anglais par Jean-Philippe Divès
La Coalition de la gauche radicale, connue sous le nom de Syriza,
a créé un choc en Grèce et à l’échelle internationale quand, au
printemps dernier, elle est à deux reprises passée à quelques points
d’une victoire dans les élections nationales. Syriza proposait une
alternative à l’austérité drastique défendue par l’establishment de la
politique et de l’économie grecques avec, derrière lui, les dirigeants
européens.
Au début du mois, Syriza a tenu une conférence de délégués élus,
premier pas d’un processus visant à constituer une organisation plus
unifiée. La coalition est actuellement composée d’une douzaine
d’organisations de gauche, allant du socialisme révolutionnaire au
réformisme radical, ainsi que de nombreux individus qui n’en sont pas
membres et ont rejoint Syriza surtout depuis les élections.
L’organisation la plus importante est Synaspismos, qui compose
l’essentiel de la direction actuelle de Syriza et compte dans ses rangs
Alexis Tsipras, qui préside le groupe des 71 députés de Syriza.
Panos Petrou est un membre dirigeant de l’organisation
anticapitaliste Gauche internationaliste des travailleurs (DEA), l’un
des groupes fondateurs de Syriza en 2004. Il rapporte ici sur ce qui
s’est passé dans la conférence et sur le débat politique qui se mène au
sujet de l’avenir et du cours politique de Syriza.
Syriza a tenu sa première conférence nationale de délégués élus du 30
novembre au 2 décembre 2012. C’était le premier pas d’un processus de
plusieurs mois devant conduire à un congrès de fondation dont on espère
qu’il décidera, au printemps 2013, de transformer Syriza en une
formation politique plus unifiée.
Vers la conférence
Syriza a préparé sa conférence nationale avec une campagne
d’assemblées locales qui ont constitué de nouvelles sections dans les
localités comme sur les lieux de travail, recruté de nouveaux membres et
organisé la discussion politique. Syriza compte aujourd’hui près de 500
sections et plus de 30 000 membres dans tout le pays.
Ces membres ont élu 3 000 délégués à la conférence nationale, qui à
leur tour ont élu une nouvelle direction de la coalition. L’aspect le
plus positif de la conférence a donc été ces très importants pas en
avant dans la transformation du Syriza en une organisation de masse,
ainsi que dans la mise en place de droits démocratiques et d’une
représentation pour les milliers de militants non organisés qui ont
rejoint la coalition et constituent aujourd’hui la majorité des membres
de Syriza.
La conférence et son processus d’organisation n’ont évidemment pas
été parfaits. Il y a eu à la fois des faiblesses objectives, auxquelles
il fallait s’attendre dans un processus visant à transformer une
coalition relativement petite en une organisation de masse, et des
questions politiques qui ont été problématiques.
Un exemple en a été la décision d’autoriser l’enregistrement de
nouveaux membres avec droit de vote jusqu’au jour de l’élection des
délégués. De nombreuses sections locales ont protesté, en défendant
l’idée que pour pouvoir participer aux décisions, les membres de Syriza
devraient être actifs.
Un autre exemple a été le projet de déclaration. La publication d’un
document politique afin d’organiser la discussion dans les sections
était très importante. Mais le projet n’a été publié que peu avant la
conférence, de sorte que le temps a manqué pour le nécessaire débat de
fond.
Le projet de déclaration et le débat politique sur l’avenir de Syriza
Le projet de déclaration était ce que son nom suggérait : un projet,
devant servir à lancer le débat politique qui se poursuivra jusqu’au
congrès de fondation de Syriza.
Ce projet, qui incluait toutes les opinions pouvant exister au sein
de Syriza, était très vague et ambigu. Il fallait s’y attendre vu le
niveau d’accord entre les différentes composantes de Syriza. Mais il y a
quelques raisons importantes et urgentes de clarifier maintenant des
problèmes spécifiques.
Un de ces problèmes est le caractère particulier de la période
actuelle. Le gouvernement de coalition fait face à des problèmes sérieux
et, si des élections étaient convoquées, Syriza pourrait être amenée à
prendre la tête d’un gouvernement avant son congrès de fondation prévu
au printemps.
D’autres questions urgentes sont celles auxquelles nous sommes
confrontés du fait d’une situation extrêmement dure. Certaines sont des
questions de vie ou de mort, pour Syriza comme pour la gauche dans son
ensemble et pour la classe des travailleurs. Il nous faut donc être
catégoriques dans certains choix cruciaux qui pourraient intervenir très
vite.
Une troisième raison est la position prise récemment par certains
membres dirigeants de Synaspismos. Au fur et à mesure que Syriza
s’approche de la possibilité de gagner les élections et de former le
gouvernement, les pressions afin d’ajuster les orientations de la
coalition dans un sens plus « réaliste » augmentent.
Il y a eu de nombreux signes montrant que des éléments de la
direction de Synaspismos veulent préparer un tel tournant. Ces
dirigeants vont au-delà des ambiguïtés du projet de déclaration. Dans
leurs apparitions publiques et leurs interviews, ils interprètent
l’accord de base sur ce qui unit Syriza d’une façon qui modère ses
orientations, ou même contredit cette même base d’unité.
C’est pour ces raisons que des forces au sein de Syriza ont décidé de
rendre public le débat politique, dans le but de traiter de ces
questions controversées et d’inviter les membres de Syriza à être
attentifs à la nécessité de défendre la coalition face aux pressions
potentielles afin de modérer ses orientations.
Avant la conférence, trois organisations de l’aile gauche de Syriza –
la Gauche internationaliste des travailleurs (DEA), Kokkino (qui
signifie « Rouge ») et le Groupe politique anticapitaliste (APO) – ont
donc publié une déclaration commune soulignant les questions les plus
importantes qui méritent d’être clarifiées.
Il y a eu d’autres contributions au débat. Ainsi, le « Courant de
gauche » de Synaspismos, la plus importante tendance minoritaire au sein
de Syriza, a publié deux amendements au projet de déclaration, en
commun avec une tendance plus petite, le « Regroupement de gauche ». Le
premier portait sur la question de l’unité de la gauche, déclarait
explicitement que nos alliés sont à gauche et qu’il s’agit
spécifiquement du Parti communiste et d’Antarsya. Le second, concernant
la dette et la zone euro, proposait d’affirmer plus clairement le refus
de Syriza de tout chantage de l’Union européenne destiné à maintenir
l’austérité.
La conférence et les résultats du vote
La direction de Synaspismos a tenté d’empêcher la discussion
politique, afin d’éviter un débat ouvert sur les questions controversées
qui ont été mentionnées précédemment. Les divergences politiques dans
la conférence se sont donc principalement exprimées lors de l’élection
de la nouvelle direction de Syriza.
Il y a eu deux listes différentes de candidats, tout délégué pouvant
choisir une de ces listes mais aussi voter pour un nombre limité de
candidats de l’autre liste.
Les délégués représentant la majorité de Synaspismos, qui soutiennent
la direction en place et Alexis Tsipras, se sont joints à des
représentants d’autres composantes de Syriza, incluant l’Organisation
communiste de Grèce (KOE, une organisation maoïste), la Gauche de
renaissance communiste et écologique (AKOA, d’orientation
eurocommuniste), les communistes libertaires du Groupe de la gauche
radicale (Roza) ainsi que des groupes d’anciens membres du Pasok qui ont
rejoint Syriza.
Ensemble, ces forces ont formé le « Bulletin unitaire ». Cette
alliance défendait le projet de déclaration tel qu’il était, et en
général l’idée que Syriza évoluait dans la bonne direction, sans qu’il y
ait aujourd’hui aucun problème sérieux. Elle a remporté 75 % des voix.
Les tendances Courant de gauche et Regroupement de gauche ont pour
leur part formé, avec DEA, Kokkino et APO, la « Plateforme de gauche »
qui a obtenu 25 % des voix.
La Plateforme de gauche s’est formée sur la base d’un accord sur
d’importantes questions posées dans les documents mentionnés
précédemment. J’en résumerais les points principaux comme suit :
- Syriza doit maintenir son engagement en faveur d’un « gouvernement
de gauche », avec des appels à une collaboration avec le Parti
communiste et Antarsya ;
- Elle ne devrait accepter qu’un « gouvernement de gauche » et
écarter tout soutien à une coalition gouvernementale qui inclurait des
partis bourgeois ;
- La coalition doit continuer à défendre la fin immédiate du paiement
de la dette et à refuser le moindre sacrifice pour sauver l’euro ;
- Syriza doit défendre la fin de l’austérité par tous les moyens
nécessaires, et placer les besoins des travailleurs au-dessus des
propositions « réalistes » destinées à satisfaire les besoins du
capitalisme.
La formation de la Plateforme de gauche a été un événement important
dans cette conférence. Elle a affirmé le droit à exprimer des points de
vue différents au sein de Syriza et à les discuter ouvertement devant
l’ensemble de ses membres, de ses alliés et de ses électeurs, à l’opposé
des pressions afin de faire taire les critiques – un piège dans lequel
sont tombés, pendant la conférence, de nombreux camarades animés de
bonnes intentions.
La Plateforme de gauche a également envoyé le message selon lequel
tout tournant vers le modérantisme ou tout renversement des orientations
de Syriza rencontreraient une sérieuse résistance interne. Ce message
était adressé à de nombreux et différents interlocuteurs : les membres
dirigeants de Syriza qui veulent ajuster le programme de la coalition ;
la classe dirigeante qui entend domestiquer Syriza ; et les camarades du
Parti communiste et d’Antarsya, afin de leur montrer qu’il y a une
opposition de gauche forte et visible face à toute tentative d’imprimer à
Syriza un tournant à droite, une opposition qu’ils pourraient rendre
plus forte en la rejoignant.
Un bilan de la conférence
Les 25 % obtenus par la Plateforme de gauche sont un point de départ
très positif afin d’ouvrir à l’intérieur de Syriza un débat sérieux sur
le cours politique de la coalition.
Pour apprécier correctement les résultats de la conférence, nous
devons garder à l’esprit que les 75 % de voix du Bulletin unitaire ne
constituent pas un bloc homogène. Si la Plateforme de gauche s’est
efforcée d’exprimer le besoin d’une aile gauche visible, la majorité qui
a voté différemment n’est pas pour autant entièrement membre de l’aile
droite de la coalition.
Le Bulletin unitaire a intégré un spectre de forces très large,
depuis les membres de Synaspismos les plus modérés, qui poussent à
ajuster le programme de Syriza dans le sens du « réalisme », jusqu’à des
camarades de gauche très radicaux qui ont probablement pensé que la
meilleure façon de faire avancer Syriza était d’argumenter en faveur de
leurs positions dans le cadre de la majorité, ou bien qui ont priorisé
le besoin pour la coalition d’apparaître « unie ».
Il y a eu en outre, de la part d’éléments de la majorité, la démarche
consistant à s’appuyer sur l’aspiration à l’unité des membres de base
et sur l’ambiance généralement optimiste de cette première conférence,
pour présenter la Plateforme de gauche comme des « diviseurs » qui
veulent débattre sans raison. Cela a rendu le soutien à la Plateforme de
gauche plus difficile pour de nombreux délégués, quel que soit le
niveau de leur accord avec ses positions.
Une indication en a été donnée par le vote sur les amendements au
projet de résolution présentés par le Courant de gauche et soutenus par
la Plateforme de gauche. L’un et l’autre ont été battus, mais le nombre
de voix qu’ils ont obtenu a montré que les idées de la Plateforme ne
sont pas confinées à seulement 25 % de Syriza. L’amendement disant qu’un
« gouvernement de gauche » et que l’unité devaient être recherchés avec
des forces telles que le Parti communiste et Antarsya a reçu le soutien
de près de 40 % des délégués. Celui sur la dette et la zone euro a
frôlé la majorité à quelques voix près. Et cela, malgré l’ambiance de
polarisation à l’égard des « diviseurs » de la Plateforme de gauche.
Ainsi, il est clair que ni la conférence dans son ensemble, ni les 75
% de délégués ayant soutenu le Bulletin unitaire n’ont donné mandat aux
dirigeants de Synaspismos de faire évoluer Syriza dans un sens plus
modéré. A l’inverse, la plupart des interventions des délégués tendaient
vers la gauche.
Mais ceci ne retranche rien à l’importance des efforts de la
Plateforme de gauche afin de mettre en évidence les grands problèmes qui
vont se poser à nous et de les poser sur la place publique. L’avenir de
Syriza reste toujours une question ouverte.
Et maintenant ?
L’émergence de la Plateforme de gauche et les efforts de ceux qui
l’ont formée afin d’ouvrir le débat politique ont établi pour Syriza
d’importants précédents. Cela a imposé quelques règles élémentaires pour
le fonctionnement d’une coalition plus unifiée, en particulier le droit
de critiquer la direction de Syriza autant que nécessaire, ainsi que
d’exprimer et défendre les divergences politiques qui existent dans la
coalition de façon publique et organisée, à travers des courants, blocs,
listes de candidats, etc. La Plateforme de gauche a également affirmé
l’existence d’un contrepoids organisé de gauche face à toute tentative
de faire virer Syriza à droite.
Le débat sur les choix que Syriza a maintenant à faire doit continuer
au niveau local parmi les membres de Syriza. Et, plus important, il
doit être tranché par la lutte des classes et l’engagement des militants
de Syriza en son sein. Comme cela a été démontré à de nombreuses
reprises dans le passé, l’esprit vital du mouvement de résistance est
notre principal allié dans le combat pour le cours politique de Syriza.
En même temps que ce facteur externe, les membres de Syriza qui
soutiennent la Plateforme de gauche ont besoin d’une stratégie
consciente et permanente. Dans la conférence, il est apparu clairement
que les forces existent – et dépassent de loin ceux qui ont ouvertement
soutenu la Plateforme de gauche – pour faire face à toute tentative de
modérer le programme de Syriza et de pousser la coalition vers la
droite.
L’une de nos tâches les plus importantes est d’organiser ces forces,
de les engager dans les luttes sociales et de les coordonner en leur
donnant une voix politique. Cela peut s’avérer la plus importante
contribution afin de mettre un terme aux rêves des barons des médias qui
voient Syriza capituler dans le futur devant le modérantisme.
Notre organisation, DEA, combat pour ces objectifs depuis maintenant
des années, et continuera à le faire avec les camarades partageant notre
contribution commune avec Kokkino et APO, avec ceux qui ont formé la
Plateforme de gauche, et avec tous les camarades souhaitant lutter pour
une véritable alternative ouvrière à la crise du capitalisme.
La route qui nous attend ne sera pas facile, mais il est clair que
l’avenir de la gauche et de la lutte des classes en Grèce dépendra dans
une très large mesure du cours que prendra Syriza. Personne ne devrait
s’abstenir de la bataille qui se mène pour ce cours politique.