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"L’aide alimentaire pourrait passer par la création de potagers collectifs, par le troc, la révision de certains prix, voire du système productif tout entier."


L’aide alimentaire pour les plus pauvres bientôt supprimée ?

Par Nolwenn Weiler (Basta 2 janvier 2013)

En France, 3,5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire, ces produits de première nécessité distribués par les organisations caritatives. Financée grâce au budget européen, cette aide est aujourd’hui remise en cause. Les efforts déployés depuis plusieurs années pour améliorer la qualité de ces aliments, et ne pas enfermer les plus précaires dans la malbouffe, seront-ils réduits à néant ?




120 millions de personnes menacent, en Europe, de sombrer dans la pauvreté. Les gouvernements européens, qui discutent en ce moment du budget 2014-2020, hésitent cependant à prolonger le financement de l’aide alimentaire destinée aux plus pauvres. C’est pourtant une minuscule part d’un énorme budget : 0,4% sur 1 000 milliards d’euros ! Né en 1987, le Programme européen d’aide aux plus démunis prévoit que les excédents agricoles – sous lesquels croule alors l’Europe – soient redistribués à celles et ceux qui en ont besoin. Depuis, les excédents se font rares. L’Europe aligne donc du cash : des subventions versées aux associations au titre de l’aide alimentaire (500 millions d’euros en 2012) et l’achat direct de produits destinés à être redistribués (383 millions) s’ajoutent à la reprise d’excédents agricoles (177 millions).

Tous les États membres ne bénéficient pas de cette aide, qui passe par le budget de la Politique agricole commune (PAC). Certains pays, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni refusent d’y recourir. « L’Angleterre considère que l’Union européenne doit rester un grand marché et l’Allemagne pense que l’Europe ne doit pas s’immiscer dans les politiques sociales, gérées par les Lands », précise Nadège Chambon, chercheuse à l’institut Notre Europe.

Austérité pour les plus démunis

Les principaux bénéficiaires sont l’Italie (95 millions d’euros en 2012), l’Espagne (80 millions d’euros), la Pologne (75 millions d’euros), la France (70 millions d’euros) et la Roumanie (60 millions d’euros). « Le montant de l’aide est calculé en fonction de la proportion de la population ayant un revenu inférieur à 60% du « revenu médian » national [1]. Cela a fait passer l’Espagne en tête cette année », indique Nadège Chambon. En France, quatre associations gèrent cette aide : La Croix rouge, les banques alimentaires, le Secours populaire et les Restos du cœur.

Mais cette aide n’est pas du goût de tout le monde : plusieurs pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède [2] considèrent que l’aide aux pauvres relève de l’action de chaque État. Et refusent de payer. Début 2012, l’Allemagne obtient la condamnation de l’aide alimentaire par la Cour de Justice européenne. Le dispositif actuel n’existera donc plus en 2014. Il pourrait être remplacé par un « Fonds européen d’aide aux plus démunis » moins bien doté [3]. Soit « 350 millions par an, à partager entre 28 pays membres, contre 500 millions actuellement, détaille Gaëtan Lassale, de la Fédération française des banques alimentaires. Sachant que de nouvelles thématiques s’ajouteront à l’aide alimentaire : l’achat de biens essentiels à destination des SDF et des enfants en situation de précarité notamment ». Inquiètes, les associations se sont mobilisées pour que ce fonds voit bel et bien le jour.

Les pauvres, abonnés à la malbouffe ?

Il faudra donc aider mieux, et plus de familles, avec moins. Alors même que le nombre de personnes poussant les portes des soupes populaires ne cesse d’augmenter. « 3,5 millions de personnes ont bénéficié de cette aide en France l’année dernière, souligne Marianne Storogenko, de la Direction générale de la cohésion sociale, en charge du dossier. 8,5 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et pourraient donc en bénéficier. En plus des familles monoparentales et des chômeurs, recourent aujourd’hui à l’aide alimentaire les travailleurs pauvres, les étudiants et les personnes à la retraite. »
Autre problème : la qualité de cette aide alimentaire. Les bénéficiaires de cette aide présentent souvent des troubles nutritionnels, pouvant induire des pathologies telles le diabète ou des problèmes cardiovasculaires, selon une étude menée par l’Institut de veille sanitaire [4]. Seule une personne sur dix mange les cinq fruits et légumes par jour recommandés par le Programme national nutrition santé. Suite à cet alarmant constat, les critères d’achat de denrées pour l’aide alimentaire ont été revus. Dans les appels d’offre lancés par les ministères, la qualité nutritionnelle compte pour 30% de la note, les tests gustatifs pour 40% et le prix pour 30%. « S’alimenter est un besoin fondamental, mais c’est aussi une source de bonne ou de mauvaise santé, rappelle Marianne Storogenko. Et puis, recevoir des produits de qualité, c’est nécessaire aussi pour l’estime de soi. Si on vous offre quelque chose de bon, c’est que vous êtes quelqu’un. »

Des alternatives pour un bon repas

Ces appels d’offre ne couvrent qu’un quart de l’aide alimentaire. Les 75% restants sont collectés auprès des particuliers à la sortie des supermarchés ou remis gracieusement par les enseignes de la grande distribution, qui écoulent ainsi des marchandises qu’elles ne peuvent pas vendre, pour des raisons d’ordre esthétique le plus souvent. Une autre partie des produits vient des partenariats passés entre des grandes entreprises et les associations. « Dans la relation avec les donateurs, il faut parfois s’armer de courage pour leur dire : "c’est très gentil, mais nous ne prendrons pas la cinquième tonne de pains au chocolat parce que les gens ne mangent pas que des pains au chocolat. Il nous faudrait plutôt des haricots verts" », poursuit Marianne Storogenko.

Des initiatives émergent pour améliorer le contenu de l’assiette de personnes obligées de recourir à l’aide alimentaire. La Fédération des paniers de la mer (PLM), par exemple, travaille avec les criées, lors des retours de pêche, pour valoriser les poissons invendus, créer des emplois sur l’activité de mareyage – l’achat de poissons en gros – et permettre de diversifier les apports en protéines. « Il ne s’agit pas seulement de remettre un produit aux gens, explique Hélènet Rochet, directrice de la fédération des PLM. Mais de leur donner envie de cuisiner, d’offrir un bon repas à leur famille. » A l’aide de fiches recettes, et à force de communication avec les bénévoles des associations, les paniers de la mer remettent au goût du jour le tacot, le congre, la roussette.

« Les personnes pauvres ne sont pas condamnées à le rester, estime Hélène Rochet. Et quand leurs moyens le leur permettront, ces personnes pourront reprendre le chemin des poissonneries, et participer à la valorisation de produits qu’elles connaîtront déjà. » La démarche emporte l’adhésion des pêcheurs. « Leur métier est rude. Et savoir que le fruit de leur travail n’est pas perdu est très important pour eux. »

Mieux que le discount, les épiceries solidaires

Un autre acteur a fait son entrée dans le monde de l’aide alimentaire : les épiceries sociales et solidaires (regroupées au sein de l’association Andes). Elles proposent en libre-service des produits de consommation courante, contre une participation financière de 10 à 30% du prix normal. En 2011, 130 000 personnes se sont pressées dans les 240 épiceries solidaires que compte désormais le territoire français (voir la carte.). « Pour lutter dignement contre la faim, il faut permettre aux gens de choisir », affirme Guillaume Bapst, fondateur des épiceries solidaires. « Quand on vous donne un colis, on nie votre identité : ce que vous aimez, votre façon de cuisiner... Et quand on reçoit une seule ration, on ne peut pas inviter quelqu’un à partager son repas. »


Pour remédier au déficit de fruits et légumes, l’Andes lance en 2008 « le potager de Marianne » à Rungis. Un chantier d’insertion dans lequel on trie les fruits et légumes invendus pour approvisionner les circuits de l’aide alimentaire. Des « potagers » qui essaiment à Perpignan, Marseille et Lille. En janvier dernier, une ferme maraîchère solidaire a ouvert ses portes en Basse-Normandie.

Des paysans dépendants de l’aide alimentaire

« Il vaut mieux récupérer des produits alimentaires que de les jeter, rappelle Guillaume Bapst. Mais la lutte contre le gaspillage ne doit pas être la seule finalité de l’aide alimentaire. Sinon, on se contente de donner aux pauvres ce que l’on a récupéré. Et on ne s’intéresse pas à leurs besoins nutritionnels. Il faut laisser l’approche purement caritative pour remettre les gens à leur place de citoyen. » Pour Marianne Storogenko, « la fourchette est un excellent outil d’insertion. Il faut faire en sorte que ces personnes se sentent soutenues et pas assistées. »

Jean-Claude Balbot, éleveur dans le Finistère, est plus radical : « L’agro-industrie produit de la pauvreté. Même des paysans deviennent clients de l’aide alimentaire ! Ou ces employés des usines agro-alimentaires qui se retrouvent sans travail. Finalement, l’agriculture n’a pas tenu ses promesses, à savoir nourrir le monde et donner du travail aux gens. » Membre actif de la fédération nationale des Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), Jean-Claude Balbot participe à un groupe de travail qui planche sur la question de l’accès à l’alimentation. Pour les Civam, il faut rapatrier l’aide alimentaire vers les territoires. « Cela coûterait moins cher à la collectivité, que ces échanges de conteneurs, de boîtes et de produits transformés », estime Jean-Claude Balbot. Pensée à petite échelle, l’aide alimentaire pourrait passer par la création de potagers collectifs, par le troc, la révision de certains prix, voire du système productif tout entier.

Les exclus de la qualité

Assidu de la vente directe, et producteur bio, l’agriculteur regrette le profil trop uniforme de sa clientèle, relativement aisée. « Quand je vais livrer les gens, je sais toujours à quoi m’attendre : le type de maison, de voiture, de journaux.... C’est sympa, mais cet enfermement, pour moi et d’autres collègues, est le signe d’un échec de nos modes de production. Nous tenons à garantir la qualité, mais nous excluons de fait une large partie de la population. » 

La solution ? « En tant que producteur, il faut que je m’arrange pour produire quelque chose que tous les consommateurs peuvent acheter. Nous devons réfléchir au prix, très sérieusement. Est-il normal, par exemple, que les consommateurs paient une partie des emprunts que j’ai contracté pour m’installer ? Et qu’ils participent ainsi à l’accroissement d’un capital qui n’appartiendra qu’à moi. » Pour savoir ce que les consommateurs sont en mesure de payer, « il y a un vrai travail de connaissance et de reconnaissance à faire. » Les échanges entre fermes et quartiers, qu’il pratique avec d’autres collègues sont, à ce titre, très riches d’enseignements. « L’aide alimentaire que nous aimerions voir se développer doit s’inscrire dans ces échanges citoyens, dans ce partage, ces discussions où l’on réfléchit ensemble à l’accès à l’alimentation. » Le ministre Stéphane le Foll, pour qui « l’accès à une alimentation de qualité est un élément décisif pour rester inséré dans la société », prêtera-t-il attention à ces expérimentations ?

Nolwenn Weiler

Photo de une : Alain Curie via Rue 89

Notes

[1] En France, le revenu médian se situe aux alentours de 1 600 euros (il varie de 1431 euros pour une personne seule à 3 700 euros pour un couple avec trois enfants) : la moitié de la population, en fonction du type de ménage, a des revenus inférieurs et l’autre moitié dispose de revenus supérieurs.
[2] Ainsi que le Danemark, les Pays-Bas et la République tchèque.
[3] L’éventuel Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) s’élèverait à 2, 5 milliards d’euros sur 7 ans.
[4] Voir l’étude menée en 2005.

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 Les jeux de la faim


EstherVivas

La crise alimentaire fait des ravages dans le monde. Il s’agit d’une crise silencieuse, elle ne fait pas la une des journaux et n’intéresse ni la Banque centrale européenne, ni le Fonds Monétaire International, ni la Commission européenne. Pourtant, elle touche 870 millions de personnes qui souffrent de la faim. C’est ce qu’indique le rapport « Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde 2012 », présenté cette semaine par l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO).

Nous pensons trop souvent que la faim ne frappe que dans des endroits très éloignés du confort de nos fauteuils. Et qu’elle a peu à voir avec la crise économique qui nous affecte. La réalité est pourtant très différente. Il y a de plus en plus de personnes qui souffrent de la faim dans les pays du Nord. Il ne s’agit évidement pas de la famine telle qu’elle touche des pays d’Afrique et ailleurs, mais elle implique bel et bien une absence des calories et des protéines minimales nécessaires, qui a des conséquences sur notre santé et sur nos vies.

Cela fait plusieurs années que l’on évoque les terribles chiffres de la faim aux Etats-Unis : 49 millions de personnes affectées, soit 16% des ménages, selon les données du Département de l’Agriculture des Etats-Unis, dont plus de 16 millions d’enfants. Des chiffres anonymes auxquels l’écrivain et photographe David Bacon met un visage dans son œuvre « Hungry By The Numbers » (Faméliques selon les statistiques) ; les visages de la faim dans le pays le plus riche du monde.

Dans l’Etat espagnol, la faim est également devenue une réalité tangible. Pour bon nombre de personnes frappées par la crise, c’est : sans travail, sans salaire, sans maison et sans nourriture. D’après les chiffres de l’Institut National de Statistiques, en 2009, on estimait que plus d’un million de personnes avaient des difficultés à consommer le minimum alimentaire nécessaire. Aujourd’hui, la situation est encore pire, même si elle n’est pas chiffrée. Les organismes sociaux sont débordés et, ces dernières années, les demandes d’aide alimentaire et de médicaments ont doublées. D’après l’organisation « Save the Children », avec un taux de pauvreté infantile de 25%, de plus en plus d’enfants ne mangent pas plus d’une fois par jour, à la cantine scolaire, à cause des difficultés que rencontrent leurs familles.

On ne peut donc pas s’étonner qu’un journal aussi prestigieux que le New York Times ait publié, en septembre 2012, une galerie de photographies de Samuel Aranda, lauréat du World Press Photo 2011, qui, sous le titre « In Spain, austerity and hunger » (En Espagne, austérité et faim), fait le portrait des conséquences dramatiques de la crise pour des milliers de personnes ; faim, pauvreté, expulsion de logement, chômage… mais aussi luttes et mobilisations. D’après un rapport de la Fondation Foessa, l’Etat espagnol compte l’un des taux de pauvreté les plus élevés de toute l’Europe, se situant juste derrière la Roumanie et la Lettonie. Une réalité qui s’impose aux observateurs extérieurs, malgré la volonté de certains de la passer sous silence.

Par ailleurs, la crise économique est intimement liée à la crise alimentaire. Les mêmes qui nous ont conduit à la crise des hypothèques « subprime », cause de la « grande crise » en septembre 2008, sont ceux qui spéculent aujourd’hui avec les matières premières alimentaires (riz, maïs, blé, soja…), provoquant ainsi une très importante augmentation des prix. Cette augmentation rend ces produits inaccessibles pour de larges couches de la population, particulièrement dans les pays du Sud. Fonds d’investissements, compagnies d’assurances et banques achètent et vendent ces produits sur les « marchés à terme » dans le seul but de spéculer avec ceux-ci et faire du profit. Quoi de plus sûr que la nourriture pour investir puisque nous devons tous, normalement, en consommer tous les jours.

En Allemagne, la Deutsche Bank vante des bénéfices faciles si l’on investit dans les produits agricoles en hausse. Des « affaires intéressantes » du même genre sont proposées par les principales banques européennes, comme BNP Paribas. D’après les données du World Development Movement, Barclays Bank a empoché en 2010 et 2011 près de 900 millions de dollars grâce à la spéculation sur l’alimentation. Et il n’y a pas besoin d’aller si loin. La banque Catalunya Caixa offre de juteux bénéfices économiques aux clients qui investissent dans les matières premières sous le slogan « un dépôt 100% naturel ». Quant au Banco Sabadell, il dispose d’un fonds spéculatif qui opère dans l’alimentaire.

La faim, malgré ce qu’on nous dit, ne dépend pas tant des sécheresses, des conflits militaires, etc., que de ceux qui contrôlent et qui dictent les politiques agricoles et alimentaires et qui possèdent les ressources naturelles (eau, terre, semences…). Le monopole actuel du système agroalimentaire, aux mains d’une poignée de multinationales qui disposent du soutien des gouvernements et d’institutions internationales, impose un modèle de production, de distribution et de consommation des aliments au service des intérêts du capital. Il s’agit d’un système qui provoque la faim, la perte d’agro-diversité, l’appauvrissement des paysans et le changement climatique. Un système où le profit de quelques uns passe avant les besoins alimentaires de la majorité.

« Les jeux de la faim » : c’est le titre d’une fiction réalisée par Gary Ross, basée sur le best-seller de Suzanne Collins et dans lequel des jeunes doivent s’affronter dans une lutte à mort afin d’obtenir la victoire, c'est-à-dire de la nourriture, des biens et des cadeaux pour le restant de leurs vies. La réalité n’est parfois pas très éloignée de la fiction. Aujourd’hui, certains « jouent » avec la faim pour gagner de l’argent.


*Esther Vivas est coauteure de “Planeta indignado” (éd. Sequitur) avec JM Antentas. Plus d’infos: http://esthervivas.com/francais/

** Source : http://blogs.publico.es/dominiopublico/5952/los-juegos-del-hambre/
***Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera. 

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