St-Sylvestre : le père Manuel est une ordure ?
L’histoire d’Amed Sohail est édifiante.
Pathétiquement. Il a 15 ans quand il arrive du Pakistan, confié par sa
famille à un passeur. Il parle Ourdou. Il n'a pas demandé à venir en
France et ne sait même pas dans quel pays il est. Il s'est retrouvé un
jour dans les rues de la capitale française, errant, abandonné à son
sort. Il est alors ballotté d’hébergement temporaire chez des
compatriotes de rencontre en foyers pour mineurs étrangers. Il fugue à
plusieurs reprises.
Une insertion réussie
En 2006, Ahmed est enfin pris en charge par l'ASE [Aide Sociale à l'Enfance] de Nanterre et
confié aux Apprentis d’Auteuil du côté de Chartres. Il retrouve un peu
de stabilité et peut enfin suivre une scolarité, en CAP plomberie.
Le rapport de son éducateur référent de l’époque est élogieux : Ahmed « ne pos[ait] aucun problème de comportement, respectant parfaitement les règles établies ». « Il se montre[ra] sérieusement investi dans l’apprentissage de la langue française ». Par la suite, placé en appartement de pré-insertion, « Ahmed
entretient l’appartement qui est impeccablement tenu, il fait les
courses et prépare les repas, s’occupe de son linge. Sa gestion du temps
est bonne et Ahmed respecte les contraintes horaires, tant vis-à-vis de
son employeur que du lycée. »
L’éducateur conclut enfin sur « la réussite de sa formation
professionnelle puisqu’il a obtenu son CAP plomberie en juin 2009. La
prise en charge d’Ahmed s’arrêtera le 2 juillet 2009, à sa demande,
alors qu’il avait trouvé un employeur et un lieu d’hébergement ».
L’histoire aurait dû se poursuivre dans cette veine : celle d’un
mineur isolé, ballotté par la vie mais récupéré par les institutions
dont c’est la (noble !) mission et bâtissant son avenir dans le pays qui
devenait le sien.
La machine à fabriquer légalement des sans papiers
C’était sans compter sans les effets dévastateurs de la politique du
chiffre des ministres de la Rafle et du drapeau. En 2007, à sa majorité,
aidé par ses éducateurs, Ahmed demande un titre de séjour. Pris en
charge par l’ASE avant ses 16 ans, il y a normalement droit. Mais la
préfecture de Chartres, comme les autres, a pour consigne de restreindre
le nombre de titres de séjours délivrés : elle fait traîner les choses,
presque un an, comme le signale le rapport de l’ASE. Puis, finalement
lui octroie un titre « Etudiant ». Etudiant en CAP plomberie… une
curiosité qui permet tout à la fois de ne pas délivrer de titre de
séjour Vie privée et familiale [VPF] (qui autorise à travailler et à vivre
normalement) et, à terme de fabriquer des sans papiers, ce qui va
arriver à Ahmed.
En quittant l’ASE, Ahmed a donc une promesse d’emploi de plombier et
un hébergement. Sauf que, pour travailler effectivement, il faut qu’il
en ait l’autorisation et que son titre étudiant soit converti en titre
VPF. Comme son homologue d’Eure-et-Loir et pour les mêmes raisons, la
préfecture de Seine-St-Denis fait traîner les choses, tant et si bien
que le patron d’Ahmed, lassé, renonce à l’employer. C’est ainsi
qu’aujourd’hui, en France, on fabrique des sans-papiers à partir de
garçons ou de filles qui vivent ici depuis des années, y ont fait des
études et obtenu des diplômes, sont francophones, vivent comme tous les
jeunes de leur âge mais qui, brutalement, du fait d’une politique
absurde et malfaisante, se retrouvent plongés dans un monde kafkaïen,
sans papiers, sans travail légal et sans avenir.
Autant l’administration avait été lente pour donner à Ahmed
l’autorisation de travailler, autant elle fait diligence pour lui
délivrer un ordre d’expulsion (OQTF, Obligation de Quitter le Territoire Français). Il peut dès lors être arrêté et expulsé à tout moment. En
janvier 2012, il connaît une première période de rétention. Il est
libéré par le Juge des libertés et de la détention. Il avait d’ailleurs
récemment pris un rendez-vous avec la Cimade pour être conseillé et
demander sa régularisation. Il n’a pas pu se rendre à ce rendez-vous :
il était en rétention.
La machine à expulser
Le 21 novembre 2012, il se fait contrôler à la gare de Lyon sans
titre de transport. Il a un joint de haschich sur lui. Aucune poursuite,
évidemment. S’il fallait expulser tous les jeunes qui ont un jour fumé
un joint …
Menottage, fouille, garde à vue, il est enfermé au CRA [Centre de Rétention Administrative] de Vincennes.
Il va y rester 41 jours. Aucun délit mais 41 jours de prison tout de
même. Jour après jour, il parcourt le calvaire des retenus promis à
l’expulsion, des journées d’angoisse ponctuées de quelques parloirs et
de quelques présentations au tribunal administratif et au Juge des Libertés de la Détention [JLD] qui entérinent les décisions préfectorales.
Et quand il arrive qu’un tribunal abroge une décision préfectorale, le
parquet fait appel comme cela a été le cas pour Ahmed. Le JLD avait
demandé sa libération le 16 décembre, la cour d’appel l’a maintenu en
rétention.
La situation d’Ahmed, son jeune âge, la longueur de son séjour en
France, son intégration dans la société, son français, etc., attirent
pourtant l’attention. Le RESF est alerté. Le cas d’Ahmed figure à
plusieurs reprises dans les messages d’alerte diffusés aux 33 000
abonnés de la liste resf.info invités à faire connaître leur sentiment
aux préfets, aux conseillers ministériels et présidentiels dont les
adresses mails sont gracieusement communiquées. Résultat : plusieurs
centaines de messages, pas tous aimables, dans les boîtes mail des
responsables. Une pratique inaugurée sous Sarkozy qu’il a
malheureusement fallu prolonger sous Hollande.
Ahmed est informé qu’il sera mis dans un avion le 30 décembre.
Alerté par de très nombreux mails, le cabinet de M. Valls demande
l’avant-veille des éléments sur « les perspectives d’insertion de ce
garçon » comme si avoir passé le tiers de sa vie en France, être
parfaitement francophone, avoir été pris en charge par l’ASE jusqu’à 21
ans, avoir obtenu son CAP de plombier, travailler (au noir, évidemment)
aussi bien comme plombier que comme électricien ou peintre sur des
chantiers, être hébergé chez des amis, n’étaient pas des preuves
d’insertion ! Pourtant, le 30 décembre au matin, le conseiller
immigration de Valls annonçait hypocritement : « Nous avons décidé de ne
pas intervenir et de laisser les choses aller à leur terme ».
Ponce-Pilate a emménagé place Beauvau !
Ahmed est donc extrait du CRA et embarqué, menotté, pour Roissy
pendant que dans le hall de l’aérogare, une vingtaine de militants RESF
discutent avec les passagers pour les prévenir de la présence du jeune
homme menotté dans l’avion. Certains sont surpris et choqués, d’autant
que la compagnie Qatar Airways qui assure le vol fait sa publicité sur le
confort, voire le luxe de ses avions ! Des fourgons cellulaires volants,
certes, mais dorés !
Conduit au pied de la passerelle, Ahmed refuse de monter. Palabres
avec les policiers, il persiste et comme c’est assez souvent le cas lors
d’un premier refus d’embarquement, il est ramené à Vincennes sans
violences.
L’espoir renaît. En principe, si un nouveau vol a lieu, ce devrait
être le 2 janvier, ce qui laisse deux jours pour convaincre la
présidence de la République du caractère odieux de ce qui est en train
de se passer.
Valls décide, Hollande bénit.
Mais, l’affaire commence à faire du bruit. Les coups de téléphone de
particuliers indignés, de personnalités et d’élus, y compris
socialistes, se multiplient au ministère de l’Intérieur et à l’Elysée.
Manuel Valls décide alors de brusquer les choses
Le 31 décembre à 12h30, Ahmed est informé qu’il sera embarqué à 13h
et mis dans l’avion de 15h pour Karachi via Doha. Et cette fois, pas
question de refuser l’embarquement : quatre gros bras, probablement des
policiers spécialisés dans les expulsions musclées, l’escortent.
Une demi-douzaine de militants RESF se précipitent à l’aéroport, juste à temps pour discuter avec les derniers passagers.
De son côté, Ahmed est « préparé » dans les locaux de la PAF (Police
aux frontières). Jeté à terre, il est ligoté de la tête aux pieds et
bâillonné puis monté dans l’avion comme un paquet et attaché à son
siège. Impossible de se débattre ni de crier. Une fois l’avion parti il
est autorisé à passer un coup de téléphone désespéré, prenant acte de
l’impossibilité de résister et exprimant l’humiliation d’être ainsi
chassé et calomnié.
A son arrivée à Karachi, il a pu en passer un second coup de téléphone (écouter à http://www.educationsansfrontieres.org/article45554.html%20 ).
Il est aujourd’hui retenu par la police pakistanaise qui, racket ou
disposition « légale », menace de l’emprisonner tant qu’il n’aura pas
versé 1500 €.
Une souscription est ouverte pour lui envoyer cette somme au plus
vite et, du même coup, dire la honte qu’inspirent de tels faits.
Cette affaire est, hélas, pleine d'enseignements. On y reviendra dans de prochains billets, jusqu'au retour d'Ahmed.
Malika Chemmah, RESF 93 Richard Moyon RESF 92-sud
APPEL A LA SOLIDARITE AVEC AHMED SOHAIL
Au moment où François Hollande prononçait ses vœux à la télévision, le
31 décembre à 20 heures, Ahmed Sohail, Pakistanais de 23 ans, arrivé
seul en France à l’âge de 15 ans, pris en charge par l’ASE pendant 5
ans, parfaitement francophone, titulaire d’un CAP de plombier, privé de
papiers par la mauvaise volonté de la préfecture de Seine-St-Denis,
volait vers Karachi, menotté, ligoté, attaché à son siège d’avion sur
l’ordre du Président de la République.
Arrivé à Karachi, il a été remis à la police pakistanaise qui le
retient dans ses locaux en exigeant le versement d’une somme de 1 500 €
faute de quoi il serait emprisonné.
Cette expulsion est indigne. Ce qui était inacceptable sous Sarkozy, l’est autant aujourd’hui.
Je demande que les autorités consulaires françaises à Karachi délivrent immédiatement un visa long séjour à Ahmed Sohail.
La première urgence étant de lui éviter un séjour en prison au
Pakistan, je déclare verser la somme de € à la souscription ouverte
pour réparer autant que faire se peut la faute déshonorante que
constituent ces faits.
Les chèques à l’ordre de RESF, mention Ahmed Sohail au verso, sont à adresser à RESF s/c EDMP, 8 impasse Crozatier 75012 Paris.
Un compte Paypal est ouvert sur le site RESF http://educationsansfrontieres.org/collecte-ahmed
L'article sur le blog de RESF sur Mediapart
L'article sur le blog de RESF sur Mediapart
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