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Bellerive-sur-Allier, le long fleuve bien sinueux (euphémisme) de la gauche socialiste ...


 "L'alternative socialiste" passée au test du mouvement des cheminots

 Les raclées électorales, particulièrement douloureuses pour tous ceux qui ne conçoivent le centre de gravité politique qu'électoral, se succédant, voilà que certains au PS s'agitent et manifestent des velléités de rébellion contre la politique gouvernementale. 

Rassurons vite ceux qui s'inquièteraient de voir le parti des Hollande et Valls passer à gauche : le socialiste mécontent reste frondeur, autrement dit déploie une activité d'émancipation très balisée mais pas trop, juste ce qu'il faut, vis-à-vis des règles et orientations régissant le fonctionnement d'un parti foncièrement godillot auquel il reste indéfectiblement attaché. C'est donc, dans le cadre de cet attachement (au plein sens du mot), que l'on voit des responsables de la gauche dudit parti mais également, répondant à son appel d'air, des dirigeants se situant sur sa gauche (Front de Gauche, passons pour cette fois sur les faux alternatifs avérés d'EELV) qui se prennent à espérer, malgré bien des déconvenues passées, que ces frondes pourraient devenir des catapultes mettant à bas l'orientation d'un Valls accusé de renier les promesses de campagne, "de gauche" (pardon mais cela va devenir répétitif vu la problématique en jeu), du candidat Hollande. 

Alors on voit bien le hic que constitue le fait que ce soit le président Hollande lui-même qui, malgré les boîtes à gifles que sont devenues les urnes, ait fait de ce qu'il y a de plus néosarkozyen dans le parti (une pensée particulière pour les Roms) le premier ministre chargé d'imposer à la hussarde ce que bégayait le bien mou Ayrault : une politique d'austérité en prise totale avec ce que patrons nationaux et européens, main dans la main, cherchent à imposer aux populations. Il n'empêche, profitant de la propension de toujours du Parti Socialiste à sécréter en son sein des parades de gauche aux problèmes de droite que pose sa politique gouvernementale, histoire de garder plusieurs fers au feu, voilà que des dirigeants du PC et du PG mais aussi des représentants d'Ensemble, ces anticapitalistes qui se donnent pour objectif de peser, dans les faits bien dérisoirement, sur l'embrouillamini des jeux d'appareils du FdG, se sont précipités au grand raout de la gauche socialiste (exposée dans sa plus belle pluralité) organisé  le week-end dernier à Bellerive-sur-Allier. 

On trouvera ici la liste de ceux qui étaient annoncés et qui ont été rejoints par quelques autres. On notera qu'aux côtés du montebourgien (donc représentant un des piliers du gouvernement dont on prétend contester la politique !) Paul Alliès, le PC était présent avec Patrick Bessac (maire de Montreuil et membre du BN du PCF) et André Ciccodicola (le directeur de l’Humanité Dimanche), le PG avait délégué, rien que ça, sa coprésidente Martine Billard, Christian Picquet représentait ce qu'il reste de GU, François Calavet apportait sa contribution pour Ensemble mais il y avait aussi, en toute indépendance syndicale, la CGT à travers un Mohammed Oussedik présenté ès qualité, dans l'appel à réunion, comme membre du bureau confédéral ! Parmi bien des responsables du PS on relevait la présence, en électron libre revenant, pour ainsi dire, au bercail, Philippe Marlière, pour les Socialistes affligés (quelle dénomination !), et l'éternel oppositionnel de l'intérieur du PS, Gérard Filoche (1).

 Pour avoir une idée de ce qui eut lieu à Bellerive-sur-Allier, recommandons le compte rendu, ravi, de l'homme de Montebourg, au titre La gauche en forme fonctionnant en démenti du péril de mort que diagnostiquait son fossoyeur Manuel Valls (par ailleurs, Paul Alliès le sait bien, copain comme cochon avec le fringant, mais plus trop, Arnaud)! Mais c'est chez Gérard Filoche qu'on trouve le document emblématique de l'évènement, intitulé, dans toute sa solennité,  Appel de Bellerive sur Allier adopté à l’unanimité des présents le dimanche 22 juin

Bien que placé sous le sceau de l'unanimité des présents, il est en fait celui des socialistes présents (qu'en pensent les autres présents ?) qui proclament fièrement "Indignés et mobilisés contre la politique du gouvernement, contre l’austérité, contre le chômage de masse, nous demandons l’application des engagements du discours du Bourget qui ont fait la victoire de mai-juin 2012. Le pacte de responsabilité, la « politique de l’offre » et la baisse du « coût du travail » n’ont jamais été dans le programme du candidat président. Si des millions d’électeurs de gauche se sont abstenus aux municipales et aux européennes, c’est parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans la politique suivie depuis 20 mois." Rappeler Hollande à ses engagements de gauche, voilà en résumé le grand projet de ces rassemblés unanimes ... avec, en perspective des plus innovantes et, ma foi, particulièrement motivantes, la (re) création d'un "gouvernement d'union de la gauche rouge, rose, vert". Gauche plurielle, façon Jospin, toujours là ? Malgré tout, malgré un certain 22 avril 2002...? Non, promis, juré, c'est pour de bon, cette fois...

Mais, moi, qui n'ai décidément pas l'humeur à redresser à gauche ni à réformer le PS, je suis seulement interpellé par un vide, un vrai trou noir, dans cet appel, que je ne peux m'empêcher de considérer comme donnant une des clés de compréhension de ce qu'est cette opération "socialiste" de réponse affolée au discrédit de gauche que diffuse à l'envi le PS et son gouvernement : dans ce texte brandi comme référence de la nouvelle donne "de gauche" et qui, pour ce faire, veut asseoir le "gouvernement rouge, rose, vert" sur "la majorité de l’Assemblée nationale et sur le mouvement social mobilisé", il manque l'évocation du "mouvement social mobilisé" des cheminots. Excusez du peu. Pourtant, heureuse coïncidence de dates avec Bellerive-sur-Allier, curieusement inexploitée par nos bons socialistes "radicaux", enfin, radicalement antiValls et donc un peu antiHollande (mais lui, il est redressable), les salariés de la SNCF ont engagé  un vigoureux bras de fer avec le gouvernement pour rejeter une réforme ferroviaire ouvrant à la concurrence et à la privatisation et menaçant le statut, l'emploi et les conditions de travail, et les salaires des personnels de l'entreprise. Toutes choses que sait par exemple Gérard Filoche et qu'il relaie parfaitement sur son blog, en soutenant l'action des cheminots (mais aussi, au passage, celle des intermittents) : lire ici et ici


Mais voilà, c'est tout le problème "historique" de Gérard Filoche mais aussi le problème plus conjoncturel (quoique...) des présents non-socialistes à Bellerive-sur-Allier : chercher le dénominateur politique commun avec les socialistes, y compris ceux qui se réclament toujours de la gauche, c'est travailler inévitablement à des accords a minima, à de belles proclamations rhétoriques contre l'austérité avec des gens qui, tout à leurs affaires institutionnelles et, disons-le, électoralistes, "oublient", en quelque sorte tout naturellement, ... le mouvement social, du moins celui qui est là, sous leur nez, tout chaud bouillant !   Le mouvement social, hors mention abstraite au détour d'un appel comme celui de Bellerive, le mouvement social qui n'en fait qu'à sa tête et fait dérailler les scénarios bien huilés misant sur son atonie, reste l'impensé ou le refoulé de toutes ces belles manoeuvres "de gauche" que traduit si bien, en son vide central, l'appel en question ! Imaginez un peu : fédérer "à gauche" contre le cours droitier du PS en s'encombrant de ces cheminots dont seul Filoche ose dire qu'ils ont raison mais dont le même Filoche n'a plus rien à dire dans la construction politique qu'il appelle de ses voeux avec les autres composantes du PS et au-delà ! Et pourtant au moment de Bellerive la situation était difficile pour les cheminots en lutte qui ne parvenaient pas à étendre le mouvement; un beau geste de soutien de ... "socialistes de gauche" rassemblés aurait été du plus bel effet. Mais non... D'autant plus regrettable que, deux jours seulement après Bellerive, ... le débat parlementaire sur la réforme ferroviaire allait s'engager et qu'il allait déboucher sur un vote ! 

 

"Un gouvernement d’union de la gauche, rouge, rose, vert qui repose sur la majorité de l’Assemblée nationale et sur le mouvement social mobilisé." 

En attendant ce gouvernement au brillant tricolore, exit le mouvement des cheminots. Quant à l'Assemblée nationale, là aussi, dans le concret du présent, eh bien, voyons ce qu'il est advenu du vote de certains de ces socialistes se proposant de faire dans le si prometteur "rouge, rose, vert" : parmi les 15 membres du BN du PS et députés socialistes figurant sur l'appel au rassemblement de Bellerive, deux ont voté le texte gouvernemental rejeté par les grévistes (il s'agit de Pouria Amirshahi et Barbara Romagnan), aucun n'a voté contre (lire ici). Parmi ceux que Paul Alliès désigne, dans son compte rendu de la réunion, comme participant de l'esprit de Bellerive, même s'ils n'étaient pas présents, Jean-Marc Germain et Christian Paul (aubrystes notoires et donc, paraît-il, "à gauche") ont également voté oui à la réforme ferroviaire.  Pour donner un autre exemple de la voie de garage des discussions "unitaires" où la gauche socialiste fourvoie une partie de la gauche se réclamant de l'opposition à Hollande-Valls, on peut relever que sur les 88 députés PS (dont font beaucoup cas Filoche et d'autres) annonçant (lire ici) qu'en l'absence d'un "nouveau contrat de majorité", ils allaient refuser le 8 avril dernier la confiance au gouvernement Valls (et dont le nombre a baissé très vite au moment de passer à l'acte), 69, oui, 69, ont manifesté par leur vote cette semaine leur opposition aux grévistes de la SNCF ! Un plus précis travail de repérage permettrait de confirmer que dans cette galaxie des redresseurs à gauche du PS nous trouvons un nombre élevé de députés qui en fait, par-delà toutes les rodomontades de tribunes, se sont prononcés cette semaine contre les salariés en grève de la SNCF et sont donc, mécanique politique implacable, devenus les soutiens actifs d'une des contre-réformes les plus significatives du gouvernement.

Le test du mouvement social est, on le voit, dévastateur pour les entreprises d'enfumage politicien à quoi se réduit ce qui touche au PS, tant pour ce qui pilote son orientation de droite que pour ce qui a la prétention de constituer, de l'intérieur (voir ici un tableau de ce qu'est le comportement régulier de la "gauche" socialiste à l'Assemblée Nationale) en rameutant la "gogauche" de l'extérieur, une alternative ... de gauche à cette orientation : se déclarer contre l'austérité et pour les services publics alors que, contre un mouvement de grève des salariés concernés (certes minoritaire mais qu'on pourrait aider "depuis la gauche", à s'élargir), on soutient l'agression contre le service public du rail, c'est, passez-moi l'expression, se payer la tête du bon peuple ! Ce qui n'est pas précisément de nature à ouvrir vraiment à gauche ni à regagner à gauche (je vous l'avais dit : cela se répète d'autant plus paradoxalement que la gauche est aux abonnés absents) tous ceux qui regardent ailleurs, souvent la colère au ventre : message adressé à toutes les composantes du Front de Gauche qui, sans exception, ne disent mot, allez savoir pourquoi, des "anomalies" ("oubli" des cheminots à Bellerive-sur-Allier et vote contre eux à l'Assemblée nationale) que je relève dans ce billet ! 

Ces anomalies ont de toute évidence un lien entre elles : le périmètre politique du PS est un cadre prégnant et contraignant qui n'amène à oublier, même chez les mieux disposés a priori à son endroit, le mouvement social que parce qu'il n'occupe dans le dispositif interne au dit périmètre qu'une place, dans le meilleur des cas, subordonnée et marginale, dans le pire des cas, menaçante pour le pouvoir et donc à exorciser à tout prix; par l'oubli ou en votant contre lui, en le dévalorisant aux yeux des "usagers" que l'on pose comme antagoniques à lui, comme pour la SNCF, en le taxant d'adopter un positionnement inintelligible car ne cadrant pas avec l'intelligence régissant des lois du capital que, par ailleurs, on naturalise comme relevant du simple bon sens près de chez vous. Enfin ce mouvement social est justiciable, en dernière extrémité, syndrome julesmochien toujours en réserve, d'une répression sèche dont la nomination du sinistre de l'intérieur que l'on sait au poste de premier ministre fait planer une menace que l'on aurait tort de sous-estimer. Voilà des anomalies qui, si elles n'étaient pas prises pour ce qu'elles sont, dans leur gravité politique, par-delà les prurits vraiment ou faussement ingénus, les esbroufes et autres ébrouements des gauches socialistes, expose les partisans de la radicalité de rupture au danger de mettre le doigt dans l'engrenage d'une terrible stérilisation de l'espoir qu'ils portent encore pour un temps probablement compté. Ce danger, il faut se rendre à l'évidence, vient de la gauche du PS dans ce qu'elle permet à la droite de ce parti de faire : par exemple la contre-réforme ferroviaire. Ce danger est à neutraliser sans état d'âme en commençant par refuser d'entonner à nouveau la vieille rengaine de l'échec annoncé : celle de l'unité de la gauche qui se fait avec des gens qui ont déraillé sur la droite un certain 24 juin 2014 à l'Assemblée nationale oublieux qu'ils étaient, pour certains, signataires deux jours avant d'un appel à rouler sur les rails de gauche !

Antoine

(1) Signalons pour l'anecdote amusante comment se jouent les psychodrames socialo-socialistes en tentant de faire du NPA l'épouvantail permettant de resserrer les rangs de la forteresse assiégée : pour cela lire ici (n'hésitez pas à aller au plus loin dans l'article, cela rebondit. Mais seulement si vous avez du temps à perdre tellement c'est du vent)

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