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Cohn-Bendit soutient le candidat de la droite à la présidence de la Commission européenne...


...  une surprise selon le NouvelObs ! 




Soyons bienveillants : il faut que ce média, pourtant précurseur et héraut constant de la "deuxième gauche" social-libérale, soit aveuglé par la fétichisation des délimitations politiciennes entre partis pour avoir pensé que "tout naturellement" un Cohn-Bendit (DCB) ne pouvait soutenir, pour diriger la Commission, qu'un écolo, en l'occurrence son camarade José Bové (ou sa colistière l'allemande Ska Keller mais nous faisons le choix de nous arrêter sur le Français sans aucune intention machiste de léser l'Allemande. Seulement pour faciliter le rapprochement intéressé que nous ferons vers la fin de ce billet). Notre bienveillance compréhensive a, au demeurant, ses limites : car tout de même, qu'y a-t-il de plus social-libéral, ou en tout cas de plus proche de la pensée NouvelObs, que le papillonnage par-dessus les frontières idéologiques au nom de LA liberté, de la fin des tabous, des "conservatismes", du culte de LA modernité, et tant d'autres blablas qui ont posé durant tant de temps le simulacre d'un libéralisme "trouvaille inouïe" et indépassable de notre époque (vive la fin de l'histoire !) ? Jusqu'à ce que "la crise" vienne (re)donner un sacré coup de vieux à ce qui n'était qu'une resucée idéologique des 18e et 19e siècles. 

En somme, oui, tout bien réfléchi, trêve de bienveillance, le NouvelObs est bien dans son élément et nous refait un de ces coups dont il est friand, celui de l'inédit (la surprise), pour aider à faire se survivre le mythe du "révolutionnaire" DCB, lequel au terme de sa carrière politique, serait capable de nous la rejouer bondissant imprévisible avec cette pirouette en faveur du conservateur Junker [1], en faveur aussi d'une instance, la Commission européenne, dont il faudrait se mettre à penser que la seule chose qui importe est de lui trouver le bon président. Comme si on ne pouvait pas envisager, au vu de son statut d'instance non-démocratique et de ses états de service, c'est-à-dire au service d'un capitalisme retrouvant sa sauvagerie d'antan pour nous refiler la facture de SA crise, de la casser, de nous en débarrasser. Comme si d'ailleurs il ne fallait pas rompre avec l'ensemble d'un appareil européen conçu depuis le début pour le capital ! En fait DCB, merci le NouvelObs, aura joué jusqu'au bout sa partition libérale-libertarienne qui n'a à voir avec la liberté que pour autant que celle-ci libère le marché capitaliste. Etant entendu dans la logique cohn-benditienne que de cette liberté fondamentale découleraient mécaniquement toutes les libertés jouissives qui permettraient de configurer l'individu sans entraves tel que l'aurait rêvé Mai 68. 

Car, oui, la grande mystification de DCB, aura été de favoriser le recyclage capitaliste de ce grand moment de révolte pour les libertés, pour la liberté. Captant les aspirations individuelles à révolutionner l'ordre moral conservateur du capitalisme gaullien, la pensée DCB l'a décrochée de l'autre grande aspiration du moment, celle de la libération sociale dont témoignent les 10 millions de grévistes cherchant alors à s'organiser sur les lieux de travail. C'est, après l'échec de cette expérience, en travaillant à réconcilier l'individualisme contestataire avec l'individualisme libéral-capitaliste que ce personnage aura contribué à la défaite des pensées de gauche, elles-mêmes incapables, reconnaissons-le, de "capitaliser" les embryons soixante-huitards de synchronisation entre les processus de revendication d'une individualité libertaire et ceux d'une collectivité se libérant de la malédiction du salariat. DCB aura en fait très emblématiquement apporté au "système" sa petite pierre d'idéologue revenu du "grand soir" (il l'avait bien écrit qu'il disait adieu à celle qu'il avait tant aimée [2]) et en partance sans retour vers les petits matins libéraux, en adoptant, en une splendide parabole du reniement, la démarche inverse des groupes d'étudiants qui en ce beau mois de mai étaient allés, bien naïvement souvent mais cette naïveté a bien plus d'attrait que certaines dérives rancies, vers les ouvriers : DCB, lui, est allé en ligne droite vers le capitaliste [3], en trimballant longtemps sa tignasse ébouriffée et son regard de défi, en symboles mi-pathétiquement, mi-comiquement résiduels de sa révolte première.  

Cette façon de faire qui est une façon d'être, par-delà bien des éclats de voix sur les plateaux télé, d'avachissements calculés sur les fauteuils des grandes messes télévisées, aura été constamment placée sous le signe de la récupération capitaliste des codes de la révolte : cela tombait bien, c'est exactement ce dont avait besoin le capital moderniste pour, devant les prémices du retournement de conjoncture, faire tomber les vieilleries du pacte de l'"Etat providentiel" scellé au sortir de la Seconde Guerre mondiale entre le PC, les syndicats et une bourgeoisie se régénérant, au gaullisme, de son collaborationnisme ! On conclura ces lignes sur le côté décidément sans surprise, n'en déplaise au NouvelObs, d'un personnage qui, sans l'ombre d'une hésitation et en anticipation de son ralliement à Junker, aura battu les estrades avec l'UMP Michel Barnier en faveur du oui au référendum constitutionnel européen en 2005 : ce qui nous permet au passage d'avoir une pensée émue pour l'autre contestataire ayant su aussi, comme le chantait Jacques Dutronc, "retourner sa veste" et peut-être même son pantalon [4], José Bové. Contentons-nous de relever que, indépendamment du "lâchage" cohn-benditien de son camarade vert, candidat officiel (avec Ska Keller) des écolos à la présidence de la Commission européenne, qui n'est, après tout, qu'un retour de manivelle méchamment ironique du reniement par le José de son engagement envers le non de 2005, ces duettistes incarnent parfaitement la nature de "parti cabriole" qu'est EELV : un parti qui, pour la faire courte, participait tout récemment du gouvernement austéritaire et sécuritaire d'un Ayrault tout en s'affichant partisan d'une écologie radicale (mais au fond pas trop) et qui parvient à s'extraire d'un gouvernement Valls encore plus sécuritaire-austéritaire tout en finissant par l'appuyer !

Il ne devrait y avoir que le NouvelObs pour se surprendre chez DCB de ce qui participe, en fait, de l'enfumage continu dont ledit NouvelObs, auto-intoxiqué, est un superbe agent : l'enfumage social-libéral-plus ou moins légèrement épicé libertarien... 

Resterait à dire ce qu'il faudrait opposer à cette idéologie se prétendant classiquement non-idéologique, qui voudrait donner le change une bonne fois pour toute et finir de faire oublier l'alternative au capitalisme de crise, en crise. On trouvera ailleurs, sur ce blog, que notre réponse (celle du NPA en tout cas) n'est pour sûr pas du côté des replis souverainistes, même estampillés à gauche. Car nous restons, nous, incroyablement fidèles (il est des fidélités qui valent de l'or), malgré les durs temps actuels, à ce qui en Mai 68 aspirait à réconcilier, internationalement, en internationalisme, la révolte individuelle et la révolution sociale et politique (deux adjectifs pour nous redondants mais passons). Lire à ce propos ici les propositions de Philippe Corcuff. Cette utopie-là, nous l'avons chevillée au corps, nous la défendons malgré ce qui voudrait renvoyer les signes que tout est plié en faveur de la grisaille capitaliste de leur crise, les signes que cette crise, elle ne peut que nous faire capituler de l'idée qu'un autre monde est possible ! Rappelons-nous que, dans un autre contexte, avant 68, tout signifiait d'évidence que, là aussi, tout était plié. Rappelons-nous : la France s'ennuyait [5] et la classe ouvrière était intégrée au système. Définitivement. Comme aujourd'hui elle serait désintégrée par le système !

Antoine

[1] Jean-Claude Junker aura été, entre autres, pendant dix-neuf ans Premier ministre du Luxembourg qui, comme chacun le sait, est un "paradis financier" particulièrement apprécié du sulfureux Clearstream (à lire ici)  et bien défendu avec une constance parfois colérique par ledit Junker (voir ici) ... contre par exemple un Sarkozy jouant les pères la morale ! "Il était président de l’Eurogroupe [réunion mensuelle (et informelle) des ministres des Finances des États membres de la zone euro] pendant la crise et un partisan de la politique d’austérité qui a laissé des traces profondes en Grèce, en Espagne, en Irlande ou au Portugal. Mais il n’en démord pas : « Donner l’impression qu’il faut stopper la rigueur pour relancer la croissance est un leurre »" (Les Echos). Il a également été gouverneur (à ne pas confondre avec "directeur général") de la Banque mondiale de 1989 à 1995, gouverneur du Fonds monétaire international et gouverneur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).
[2] Nous l’avons tant aimée, la Révolution, Barrault Éditions,‎ 1986
[3] "Le couronnement de Dany-le-Jaune se fera, avec tribunes, journalistes et petits fours, lors de la deuxième université du Medef, alors dirigé par Ernest-Antoine Seillière. Les 1er et 2 septembre 2000, les patrons se réunissent sur le thème très chabaniste « Nouvelle économie, nouvelle société » et invitent l’eurodéputé à débattre. L’ex-rebelle accourt. Je vous livre des extraits du compte rendu du Figaro du même jour : « Ils étaient tout contents, les trois mille patrons en chemisettes réunis hier sur le campus HEC de Jouy-en-Josas, de s’être offert pour leur université d’été du Medef l’insaisissable Dany qui, quelques jours plus tôt, boudait ses amis les Verts (…) “Votre question, commence Dany, le capitalisme est-il moral ?, ne m’intéresse pas. Arrêtez ! laissez ça aux curés ! Le souci des capitalistes, c’est de gagner et ils ont raison.” » Voir ci-après le texte d'où est tiré ce passage Le vrai visage de Daniel Cohn-Bendit
[4] Chanson de... 1969 !  Jacques Dutronc - L'opportuniste (Live).avi - YouTube
Texte ici 
[5] «Quand la France s'ennuie» [15 mars 1968 Archive], Le Monde

Pour aller plus au fond de la déconstruction de DCB, nous renvoyons ci-dessous à l'article très complet que Les Casseurs de pub La Décroissance avaient publié en 2009. Vraiment très bien ciblé... et très actuel.


On lira avec profit également l'ouvrage 
dont on trouvera des extraits ici

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Cohn-Bendit dans le texte

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NPA 34, NPA

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