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Florilège "je ne suis pas Charlie"...


Charlie a reproduit le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Or il ne se serait jamais permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue (Shlomo Sand)


Lorsque le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus, se joint à la puissance d’une émotion commune à l’échelle de la société tout entière, il est à craindre que ce soit la clarté des idées qui passe un mauvais moment. Il faut sans doute en prendre son parti, car il y a un temps social pour chaque chose, et chaque chose a son heure sociale sous le ciel : un temps pour se recueillir, un temps pour tout dire à nouveau.

Mais qu’on se doive d’abord à la mémoire de ceux qui sont morts n’implique pas, même au plus fort du traumatisme, que toute parole nous soit interdite. Et notamment pour tenter de mettre quelque clarification dans l’inextricable confusion intellectuelle et politique qu’un événement si extrême ne pouvait manquer, en soi, de produire, à plus forte raison sous la direction éclairée de médias qui ne louperont pas une occasion de se refaire la cerise sur le dos de la « liberté d’expression », et de politiques experts en l’art de la récupération.

Disons tout de suite que l’essentiel de cette confusion se sera concentré en une seule phrase, « Je suis Charlie », qui semble avoir tout d’une limpide évidence, quand tant d’implicites à problème s’y trouvent repliés.

« Je suis Charlie ». Que peut bien vouloir dire une phrase pareille, même si elle est en apparence d’une parfaite simplicité ? […]

On pouvait donc sans doute se sentir Charlie pour l’hommage aux personnes tuées – à la condition toutefois de se souvenir que, des personnes tuées, il y en a régulièrement, Zied et Bouna il y a quelque temps, Rémi Fraisse il y a peu, et que la compassion publique se distribue parfois d’une manière étrange, je veux dire étrangement inégale.
 
On pouvait aussi se sentir Charlie au nom de l’idée générale, sinon d’une certaine manière de vivre en société, du moins d’y organiser la parole, c’est-à-dire au nom du désir de ne pas s’en laisser conter par les agressions qui entreprennent de la nier radicalement. Et l’on pouvait trouver qu’une communauté, qui sait retourner ainsi à l’un de ses dénominateurs communs les plus puissants, fait une démonstration de sa vitalité.

Mais les choses deviennent moins simples quand « Charlie » désigne – et c’est bien sûr cette lecture immédiate qui avait tout chance d’imposer sa force d’évidence – quand « Charlie », donc, désigne non plus des personnes privées, ni des principes généraux, mais des personnes publiques rassemblées dans un journal. On peut sans la moindre contradiction avoir été accablé par la tragédie humaine et n’avoir pas varié quant à l’avis que ce journal nous inspirait – pour ma part il était un objet de violent désaccord politique. Si, comme il était assez logique de l’entendre, « Je suis Charlie » était une injonction à s’assimiler au journal Charlie, cette injonction-là m’était impossible. Je ne suis pas Charlie, et je ne pouvais pas l’être, à aucun moment. Je le pouvais d’autant moins que cette formule a aussi fonctionné comme une sommation. Et nous avons en quelques heures basculé dans un régime de commandement inséparablement émotionnel et politique.

Mais cette unanimité sous injonction était surtout bien faite pour que s’y engouffrent toutes sortes de récupérateurs. […]

Il y aurait enfin matière à questionner la réalité de l’« union nationale » qu’on célèbre en tous sens. Tout porte à croire que le cortège parisien, si immense qu’il ait été, s’est montré d’une remarquable homogénéité sociologique : blanc, urbain, éduqué. C’est que le nombre brut n’est pas en soi un indicateur de représentativité : il suffit que soit exceptionnellement élevé le taux de mobilisation d’un certain sous-ensemble de la population pour produire un résultat pareil.
 
Alors « union nationale » ? « Peuple en marche » ? « France debout » ? Il s’agirait peut-être d’y regarder à deux fois, et notamment pour savoir si cette manière de clamer la résolution du problème par la levée en masse n’est pas une manière spécialement insidieuse de reconduire le problème, ou d’en faire la dénégation. A l’image des dominants, toujours portés à prendre leur particularité pour de l’universel, et à croire que leur être au monde social épuise tout ce qu’il y a à dire sur le monde social, il se pourrait que les cortèges d’hier aient surtout vu la bourgeoisie éduquée contempler ses propres puissances et s’abandonner au ravissement d’elle-même. Il n’est pas certain cependant que ceci fasse un « pays », ou même un « peuple », comme nous pourrions avoir bientôt l’occasion de nous en ressouvenir.

Il y a une façon aveuglée de s’extasier de l’histoire imaginaire qui est le plus sûr moyen de laisser échapper l’histoire réelle — celle qui s’accomplit hors de toute fantasmagorie, et le plus souvent dans notre dos. Or, l’histoire réelle qui s’annonce a vraiment une sale gueule. Si nous voulons avoir quelque chance de nous la réapproprier, passé le temps du deuil, il faudra songer à sortir de l’hébétude et à refaire de la politique. Mais pour de bon. Le texte intégral est à lire ici

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Au-delà des motivations très différentes, parfois contradictoires, qui ont animé les millions de manifestants du week-end, le refus de cette fuite en avant raciste était bel et bien présent. Le NPA a appelé et participé à des manifestations dans plusieurs villes, mais ne s’est pas associé à la « marche républicaine » convoquée dimanche à Paris par le gouvernement. Avec d’autres, nous avons refusé l’instrumentalisation et la manipulation orchestrée par Hollande et Valls, suivis par Sarkozy et l’UMP, dans une union nationale construite pour tenter de faire croire à des intérêts communs entre ceux d’en haut et ceux qui subissent leur politique. Le texte intégral


Soudée par la peur, le deuil et la colère, la communauté qui fait bloc contre l’ennemi est profondément régressive. Elle se berce de symboles pour faire mine de retrouver une histoire à laquelle elle a cessé depuis longtemps de croire. Dès le lendemain du 11 janvier, on a pu constater que cette mythographie républicaine signifiait d’abord le retour aux fondamentaux: retour de l’autorité, triomphe de la répression, dithyrambes des éditorialistes – jusqu’aux pitreries de Sarkozy, pas un clou n’a manqué au cercueil de l’intelligence.  

Mais le pire est encore à venir. Car malgré les appels des modérés à éviter les amalgames, c’est bien la droite toute entière, calée sur les starting-blocks de l’islamophobie, qui s’est engouffrée sur le boulevard de la “guerre des civilisations” et la dénonciation de l’ennemi intérieur. Inutile d’essayer de rappeler que le djihadisme représente aussi peu l’islam que le Front national la France éternelle, la grille de lecture identitaire, celle-là même à laquelle cédaient les caricatures de Charlie, qui peignaient le terrorisme sous les couleurs de la religion, est trop simple pour manquer de convaincre les imbéciles. L'intégralité du texte

 
[…] Non, Mesdames et Messieurs les journalistes de cour, vous n’êtes pas Charlie. Loin s’en faut. Seule une toute petite partie de votre corporation, que d’ailleurs vous détestez cordialement et que vous ostracisez, peut se réclamer de cette « liberté de la presse » dont vous vous gargarisez. Dans votre très grande majorité, loin d’être des héros de la liberté, vous êtes de simples commis au service des employeurs capitalistes qui vous tiennent en laisse. Alors de grâce, trêve de tartuferie. […]

La même logique meurtrière, celle de la rentabilisation à outrance du Capital, qui a conduit à exterminer des peuples entiers dans des colonies lointaines, conduit aujourd’hui encore à laisser crever à petit feu, dans le chaudron des ghettos urbains de nos métropoles, des populations déshéritées dont l’immense majorité fait ce que les prolétaires de nos Républiques successives n’ont cessé de faire depuis des générations : saliver devant la vitrine clinquante que nos médias exposent en permanence à leur convoitise, et se demander pourquoi, dans une République soi-disant Une et Indivisible, ladite vitrine divise si radicalement, si inflexiblement, si injustement, le monde en maîtres et en serviteurs, et de combien de souffrances et d’humiliations encore ils devront expier la faute d’être nés pauvres et différents, du mauvais côté de la vitrine, de la rocade, de l’histoire, de la vie. L'intégralité du texte

[…] Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !

On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie, Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t-il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral. L'intégralité du texte

L’extrême droite et ses séides, comme Eric Zemmour, veulent « démontrer » que tous les musulmans sont des terroristes potentiels ; les djihadistes veulent leur interdire d’être des démocrates et les convertir – par la force là où ils en ont les moyens, comme en Syrie et en Iraq, ou par la peur et la manipulation ailleurs.  Cliquer ici

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Delfeil de Ton ressuscite ses souvenirs, croque ses amis, puis en vient à ce numéro de Charia Hebdo, que Charb avait décidé de publier, avec les caricatures de Mahomet, en novembre 2011. « Quel besoin a-t-il eu d’entraîner l’équipe dans la surenchère ? », accuse Delfeil. Peu après la sortie du numéro, les locaux de Charlie sont incendiés. Delfeil rappelle ce que son ami Wolinski, même âge que lui, en disait à l’époque : « Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C’est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire. » Ni recommencer, estime Delfeil : « Il fallait pas le faire, mais Charb l’a refait, un an plus tard, en septembre 2012. » Cliquer ici

Et aussi

Toute la droite israélienne sera donc représenter a la manifestation de solidarité avec Charlie Hebdo. Je ne peux que répéter ce que j’écrivais il y a deux jours, qu’il est impératif de rejeter l’union sacrée autour de Charlie, et de mettre des frontières, aussi hermétiques que possible, entre notre camp et tous ceux qui viennent parasiter et polluer, par leur discours civilisationnel raciste, l’essentiel des valeurs défendues par Charlie. Cliquer ici

Le « peuple », la République, l’unité nationale c’est le miel de nos adversaires, de ceux qui aggravent la crise économique et sociale au nom d’un salut collectif transcendantal, tout en creusant les inégalités et la misère. Attention donc : dans des événements de cette ampleur chaque mot a son sens, bien plus de sens que la question d’aller ou pas à la fameuse manif.

Quelle bouffonnerie d’ailleurs que de vouloir expliquer la République aux jeunes de banlieue issus de l’immigration ou en déshérence sociale ! Qu’est-ce que l’épicier Hollande peut leur présenter dans sa vitrine républicaine ? Les contrôles policiers au faciès ? Le chômage ? Des quartiers dévastés par la misère ? Il paraîtrait même que vivre en France c’est en accepter les devoirs et les droits. Mais quels droits restent-ils à ces populations lorsque les moyens leurs manquent pour se soigner ou simplement louer un appartement en taisant leur patronyme ? Il paraîtrait aussi que les parents devraient se montrer plus responsables de leur progéniture. Mais quand ces parents sont-ils pris pour responsables par les institutions de la République quand il s’agit de leur cadre de vie, de leurs habitations, de leur vie de quartier ? Cette République-là se garde bien de faciliter l’auto-organisation des quartiers pour justement établir la responsabilité civique des familles. Tout cela n’est que cynisme et finalement violence. Cliquer ici

 Comme le disait Aimé Césaire en 1955 dans son Discours sur le colonialisme : Ce que le « très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle [...] ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. »
 
On se rassemblera donc derrière les chefs de file du fanatisme ou leurs représentants, ceux de l’impérialisme néolibéral, pour blâmer le fanatisme. Quelle insupportable contradiction. Cliquer ici


Et encore ce texte qui, en 2013, avait bousculé un certain nombre d'idées toutes faites... 




NPA 34, NPA

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