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Contre Oxylane (Montpellier nord) : le ciné au service de la lutte !


A Utopia pour l'utopie concrète d'une lutte s'enracinant au plus près des gens !

Une salle principale  totalement remplie. Une seconde salle ouverte pour accueillir les autres personnes intéressées. C'est peu dire que le cinéma Utopia a connu ce dimanche matin une grande affluence pour la projection du film La valeur de la terre sur le projet Décathlon Oxylane à la sortie nord de Montpellier. La qualité était aussi au rendez-vous : il faut le dire ce film fait remarquablement le point sur ledit projet, les enjeux qu'il sous-tend et les réponses que, opposants et partisans, défendent. Même si le réalisateur, présent à cette projection, se défend d'adopter les positions du collectif Oxygène, ce film est un outil de premier ordre, synthétisant un nombre impressionnant de données et d'analyses, pour ceux qui luttent contre le projet décathlonien. 

Il reste à voir l'utilisation qui pourra être faite de ce documentaire dans le cadre de cette lutte. Pour conclure sur ce point, oui, il faut aller voir ce film qui sera distribué en salle en septembre : son intérêt dépasse, au demeurant, la dimension locale du sujet traité puisque les divers intervenants abordent des questions à portée générale sur l'aménagement du territoire, la place des politiques, des élus, des communes et autres intercommunalités, etc. par rapport à des logiques commerciales induisant artificialisation des sols, modes de consommation normés, urbanisation forcenée au détriment de l'environnement et des activités agricoles de proximité...

C'est sur le débat qui a suivi la projection que je voudrais maintenant m'attarder. Ce qui m'a d'emblée frappé c'est de retrouver un travers paradoxalement fréquent dans des réunions critiquant la confiscation de la parole des gens d'en bas : une circulation difficile de cette parole. Cela s'est à nouveau vérifié par le rôle dévolu, dans ce qui se voulait un débat large, à des "personnalités", au demeurant tout à fait respectables, dont le défaut cependant a été de vouloir constamment apporter une "petite" précision entre chaque intervention de la salle. Conséquence, dans un temps forcément court (la salle devait être libérée rapidement pour la projection suivante), il n'y a même pas eu l'esquisse d'un véritable échange entre spectateurs. Situation d'autant plus dommageable que, dans le film lui-même, lesdites personnalités, avaient eu largement le temps de développer ce qu'elles avaient à dire et qui, la plupart du temps, était d'ailleurs fort intéressant quoique parfois discutable.

Comme souvent la forme rejoint le fond, il y a un lien entre cette situation de parole bridée et ce qui s'est dégagé en particulier de certaines interventions d'Isabelle Thouzard. Maire de Murviel-lès-Montpellier et vice-présidente en charge de la politique agricole et alimentaire de Montpellier Méditerranée Métropole, engagée sur son secteur dans des combats environnementaux, elle en est venue à arguer du risque de démagogie qu'il y aurait à vouloir développer ce qu'une chercheuse avait évoqué en termes d'une "démocratie participative" pouvant entrer en tension, dans des luttes comme celles sur Oxylane, avec la "démocratie représentative". Dans l'esprit d'Isabelle Thouzard ce risque est inhérent au fait que la démocratie ne peut reposer, en particulier sur des thèmes environnementaux, que sur des "connaissances", des compétences pourrait-on dire ! Disons-le, ce genre de propos laisse rêveur sur ce que des gens engagés dans les luttes portent eux-mêmes comme capacité à, à leur façon, accaparer la conduite des actions sur la base du postulat que leur expertise légitime ce rôle dirigeant. On conviendra qu'il y a ici un vrai problème de démocratie et que, on le voit, les partisans de la version représentative de celle-ci travaillent souvent à neutraliser l'irruption de l'autre démocratie, la "participative" (personnellement je n'aime pas ce terme qui est devenu assez passe-partout et confusionniste et lui préfère le terme plus direct, justement, celui de démocratie directe) : on pourrait rétorquer à Madame la maire qu'un véritable souci démocratique, clairement antinomique de toute démagogie mais aussi de toute monopolisation du pouvoir de représentation, pourrait reposer sur un travail de partage large de l'expertise, de mutualisation des savoirs dont par ailleurs il est faux de supposer que "les gens" en soient a priori dépourvus ! Savoirs dont également on sait que des personnes fortement impliquées dans ce qu'elles font sont capables de les assimiler rapidement pour enrichir ce qui tout de même est l'essentiel, l'approche politique, au sens le plus large que l'on voudra, de l'objet de leur action. L'enjeu de cette façon de tordre les choses du rapport aux gens du commun est logiquement aussi politique, mais de cette politique qui est en surplomb des non-politiques, et devrait alerter ceux qui, dans Oxygène, auraient tendance à majorer l'importance du travail en direction des élus : il y a, y compris chez les plus portés à "coller aux gens", une ligne de pente quasiment obligée qui les rend indisponibles, sinon à s'effacer, au moins, une fois leur apport à la lutte engagée effectué, à se mettre en retrait au profit des acteurs "élémentaires" de la bagarre ! De ce point de vue, les voeux du conseil municipal de Murviel-lès-Montpellier en opposition à Oxylane sur Saint-Clément-de-Rivière sont, bien entendu, les bienvenus, mais pas plus, si j'ose dire !


Un peu dans le même sens, j'ai été interpellé par l'intervention d'un membre d'une association environnementaliste, intégrée à Oxygène, qui s'est plu à ironiser, en réponse à un positionnement sur la nécessité d'impliquer plus les habitants dans la lutte, sur "la mobilisation populaire". Le ton était à la condescendance et montre bien qu'il y a chez certains qui sont engagés dans le collectif antiOxylane, une tendance à se satisfaire des formes de dépossession de la population vis-à-vis de ce qui la concerne sans que soit pris en compte que c'est là justement le schéma qui prévaut ... dans le type de projet Oxylane lui-même : nous l'avons en effet vu, depuis le début, d'enquêtes d'utilité publique, qui n'ont de publiques que le nom, en décisions administratives blackboulant sans retenue les argumentaires contre Oxylane, il y a construction méthodique de procédures d'expropriation du pouvoir de décision des gens.  On dira ici que la conception de l'action qu'ont certaines associations participant au combat contre Oxylane, comme les déclarations de certains élus se revendiquant de cette lutte, fonctionnent hélas quelque peu en miroir de ce qu'ils/elles combattent. Et que donc il y a là un point d'affaiblissement majeur de la lutte qui est menée car cela revient à confiner celle-ci dans un schéma convenu dont le pouvoir de dissuasion des décisions adverses est d'avance émoussé ! Le champ des possibles s'en trouve circonscrit à un périmètre pseudo-raisonnable, et, au fond, démobilisateur.

Ceci m'amène à évoquer et à développer ce que j'ai défendu dans mon intervention dans ce débat d'après projection : le beau travail initié par le collectif Oxygène ne peut se contenter de reproduire l'existant de la mobilisation. Tout ce que ce collectif a fait était juste et nécessaire. Il a pleinement joué son rôle d'impulsion de l'action mais cela n'autorise pas à faire l'impasse sur les limites de celle-ci. Limites qui ont à voir nécessairement avec ce que l'on apprécie de la force de ceux d'en face. Adossés à la prégnance économique mais aussi politique de la loi de la valeur, de la loi du marché et de  la logique de privatisation du public, ils n'ont que faire de "la valeur de la terre" qui donne le beau titre de ce film. Cet adossement procure une puissance de nuisance aux porteurs du projet Oxylane que, je le pense personnellement, certains dans Oxygène sous-estiment : les "oxylanistes" peuvent compter, pour ainsi dire structurellement, sur l'appui des pouvoirs publics (voir le rôle des préfets à Sivens et à Notre-Dame-des-Landes) mais aussi sur le double langage des politiques : dans le débat d'Utopia a été évoqué le malaise ressenti devant le rôle peu clair de Montpellier Métropole dans cette affaire. Sans que l'on puisse s'en étonner, Isabelle Thouzard a exonéré cette instance d'avoir à se prononcer sur un projet qui relèverait au mieux d'un positionnement de la ville de Montpellier. Cette réplique participe de l'esquive politique, voire politicienne : car c'est le même homme, la même politique, celle de Philippe Saurel qui, magie du cumul des mandats et du reniement de certaines promesses électorales, est menée à l'un ou l'autre niveau décisionnel, Montpellier ville et Montpellier Métropole. Or, il vaut la peine de noter ce qui transparaît, dans le film, des propos de l'un des adjoints, comme Isabelle Thouzard, du président de Montpellier Métropole, René Revol (Parti de Gauche). Celui-ci nous délivre de grands et beaux discours sur le changement climatique et, plus concrètement, sur la nécessité de protéger la zone verte autour de Montpellier à laquelle appartient au nord le site menacé par Oxylane. Pourtant, comme l'a montré le collectif de lutte contre la gare TGV de La Mogère (lire ici), ce projet au sud de Montpellier, au demeurant en terre inondable, grignote cette même zone verte avec le feu... vert dudit Philippe Saurel. Le tout sur la base d'un déni de démocratie ! Revol, Saurel mais aussi, comme on l'entend dans le film, le ministre Le Foll, sont des politiques qui pérorent sur l'écologie en s'accommodant de bien des choses qui jouent contre l'écologie. Ces comportements tout en duplicité ou fonctionnant comme dévalorisation de la nécessité de construire une mobilisation par en bas, devraient amener à plus de prudence vis-à-vis de ce que peuvent apporter au combat contre Oxylane des élus.

Face à ce processus combiné de l'avancée progressive du dossier pro-Oxylane et du brouillage de ce qui permettrait d'impliquer la population dans la bataille, il est bon de continuer à actionner tous les recours juridiques et administratifs, comme fait Oxygène. C'est cependant se leurrer sur la portée des meilleurs dossiers, plaidant pour refuser ce que l'on veut imposer par en haut au nord de Montpellier, de croire que les décideurs et autres validateurs de projets soient accessibles à la raison et aux arguments "citoyens". C'est ne pas vouloir prendre la totale mesure que ce qui régit la marche de nos sociétés, y compris avec l'appui de l'Etat, ne relève pas de la rationalité universelle des personnes de bonne volonté mais des intérêts court-termistes et marchands, totalement immunisés vis-à-vis du bien-être des gens.

Les actions engagées par Oxygène, malgré leur pertinence, envoient le signal qu'elles ne mobilisent qu'une poignée d'activistes. On peut compter qu'en face, ils interprètent parfaitement cette donnée et ce serait donc évidemment grave de ne pas ajouter à la panoplie des actions ce qui, à sa façon non mécaniquement reproductible sur Oxylane, a mis en difficulté les porteurs de projets inutiles et leurs alliés à Sivens et à Notre-Dame-des-Landes : le rapport de force sur le terrain par où les gens ne se mobilisent plus ponctuellement, en réponse à une sollicitation venue "d'ailleurs" qu'eux mais en continu, à partir de ce qu'ils ont discuté et décidé ensemble. Par exemple, dans le cas d'Oxylane, depuis les villages les plus immédiatement concernés en structurant des collectifs locaux d'Oxygène, jusqu'à toucher le plus largement possible les habitants du grand Montpellier. C'est  ce travail de terrain qu'Oxygène devrait désormais impulser par lequel les participants deviendraient les acteurs et les décideurs de leur lutte. Si rien n'assure que travailler dans ce sens ouvre la voie du succès, cet effort d'implication des gens est le seul pourtant qui, selon moi, constitue une chance de convaincre les décathlonistes que leur projet ne passera pas en douceur (ce qui ne signifie pas qu'il faille bien entendu recourir à la violence, une violence dont on devrait certes avoir à l'esprit qu'elle est en fait, avant tout, la réponse de l'Etat à ceux qui refusent son aplatissement devant les intérêts économiques privés) ! Il resterait à voir en particulier les modalités d'action que ces structures de mobilisation par en bas pourraient mettre en oeuvre : ce n'est pas le moment d'en parler, il importe seulement que des lieux vérifiant la disponibilité des gens à s'engager dans cette voie d'appropriation de leur lutte soient créés. Cette question est d'importance pour que, dans l'intérêt bien compris d'un combat qui se donne le maximum de possibilités de gagner, qui refuse toute autolimitation a priori de ses moyens d'action, s'affirme la capacité des premiers impliqués à se prendre en charge sans inutile délégation de pouvoir. Tel est le défi auquel est confronté, à mes yeux, Oxygène, à cette étape de la mobilisation. De ce point de vue, l'appel de ce collectif à se retrouver à la rentrée pour une réunion étudiant l'élargissement de l'action est une bonne chose.

 Dans l'immédiat, comme l'a indiqué, à ce débat, Nella, de SOS Lez Environnement Montferrier-sur-Lez, une grande partie du terrain d'Oxylane a été moissonnée (voir photos) et le danger existe désormais que le préfet, sans attendre que tous les recours soient apurés, nous mette devant le fait accompli d'une mise en oeuvre des pelleteuses et des bulldozers. Comme cela a pu se vérifier dans ces cas décidément lourds d'enseignement pour nous que sont ou devraient être Sivens ou Notre-Dame-des-Landes.

 Il est urgent qu'un réseau d'alerte et de mobilisation contre l'éventualité d'un tel coup de force puisse, malgré les conditions défavorables de la période estivale, se mettre en place. Un courrier mobilisant les listes de diffusion des messages d'Oxygène pourrait recueillir les contacts et disponibilités pour, le cas échéant, organiser rapidement une riposte la plus massive possible.

Antoine (adhérent de SOS Lez Environnement Montferrier-sur-Lez) 

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 NPA 34, NPA

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