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Michel Onfray, ce "philosophe pour retraités" ...


... et intello médiatique brouilleur des cartes politiques...


J’ai toujours aimé la locution « Université populaire ». Parce qu’elle sonne comme une promesse de partage du savoir, de respect du public, d’amour de la connaissance, voire même, rêvons un peu, de bouleversement des hiérarchies culturelles. Et à cause de ce mot, j’ai toujours eu une petite estime pour Michel Onfray, avec qui je partage par ailleurs de gros doutes sur la psychanalyse (mais pas pour les mêmes raisons, j’en suis certain) et un athéisme radical.
Mais deux fois de suite, je me suis trouvé par hasard à assister à des sessions d’universités populaires, et j’y ai surtout vu une assemblée de personnes du troisième âge (ce qui est très bien, hein !) qui ne s’intéressaient pas plus à ce qu’on leur racontait que ne l’auraient fait des collégiens, puis se réveillaient ensuite pour se lancer dans une compétition de questions sans intérêt, aux relents souvent un peu réac’ et auxquelles le conférencier faisait semblant de répondre tout en guettant sa montre.

[…] Comme tout réactionnaire de deux-mille-quinze, il fustige l’héritage post-soixante-huitard, dont il est, avec bien d’autres « résistants » à cet épisode de l’histoire politique et intellectuelle du pays, un bénéficiaire et un produit. C’est assez banal, mais il se distingue de ses confrères philosophes médiatiques1 par une méthode qui consiste, sous le masque du cours d’histoire des idées, à réduire des pensées complexes à quelques traits choisis (de préférence ceux qui nous semblent aujourd’hui ridicules ou excessifs), à des attaques ad hominem, à des anecdotes croustillantes, le tout emballé dans un storytelling à la louche, généralement anachronique et ignorant, où tous les pires procédés rhétoriques sont employés : si-ce-n’est-toi-c’est-donc-ton-frère, y’a-pas-de-fumée-sans-feu, qui-vole-un-œuf-vole-un-bœuf, etc.

Hier, sur France Culture, ce très petit monsieur a pris une heure pour dire du mal du centre universitaire expérimental de Vincennes, qui a déménagé à Saint-Denis un peu plus de dix ans après sa fondation, et que l’on nomme aujourd’hui Paris 8. Cliquer ici

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Onfray vu par Mediapart

[Michel Onfray] doit le lancement de sa carrière à BHL et à son ami Jean-Paul Enthoven, incarnations de cette gauche caviar qu’il déteste. On trouve du reste traces de l’influence de BHL dans l’Onfray de 2015 : même goût immodéré de la télévision, même sens de l’apparence et du spectacle – aux chemises blanches déboutonnées du premier répondent les invariables tenues noires du second –, même sérieux inébranlable, même manichéisme des analyses, même aversion pour le doute…  […]

Tel est le Onfray première manière : dandy, hédoniste revendiqué, et particulièrement versé dans la gastronomie qu’il rebaptise « gastrosophie ». On le voit ainsi publier une Théorie du Sauternes (Mollat, 1996), fréquenter assidûment les domaines bordelais, y obtenir le prix de l’Académie du vin de Bordeaux pour La Raison gourmande (Grasset, 1995), préfacer le Guide Hachette des vins… Et se tenir soigneusement à l’écart des grands mouvements sociaux de novembre-décembre 1995 qui divisent les intellectuels.

Mais Onfray ne tarde pas à se dire qu’il ne peut se contenter d’être le philosophe de la bonne chère. Hasard du calendrier ? C’est juste avant le trentième anniversaire de Mai 68 qu’il publie sa Politique du rebelle (Grasset, 1997),qui lui vaut de débattre sur les plateaux télé avec Daniel Cohn-Bendit. Sur fond d’émergence de l’altermondialisme, la gauche radicale a alors le vent en poupe. Onfray s’en veut un des penseurs, lui apportant sa petite musique libertaire. Lors de la campagne présidentielle de 2002, il vote pour Olivier Besancenot. Le facteur alors inconnu, présenté par la LCR, obtient un inattendu 4,2 % des suffrages.

Mais ce que tout le monde retient de cette élection est le face-à-face du second tour opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. « Les inquiétudes d’un Auguste Blanqui sur la pertinence du principe du suffrage universel dans le cas, en son temps, d’un peuple illettré, inculte […] mais appelé à donner son avis lors d’une consultation électorale, se retrouvaient, à mon avis, dans la configuration postmoderne d’un peuple illettré, inculte, entretenu dans l’obscurantisme par le système économique libéral présenté comme l’horizon indépassable par la droite et la gauche de gouvernement », constate alors Onfray. C’est ce peuple illettré qu’il entreprend d’éclairer. À la fin de l’année scolaire 2002, il démissionne de l’Éducation nationale – ses droits d’auteur conséquents et la mensualité que lui verse Grasset suffisant à ses besoins – et annonce son intention de créer une université populaire à Caen.

L’initiative mérite qu’on s’y arrête, car elle marque un tournant dans la carrière de Onfray. Fini le gastrosophe dissertant sur le Sauternes. Le second Onfray se veut social, rebelle, radical, reprenant du mouvement ouvrier du xixe siècle la tradition de l’éducation populaire nouant un lien entre intellectuels et prolétaires. Les principes de l’université populaire de Caen (qui a depuis fait des émules à Lyon, Avignon, Grenoble ou Roubaix, pour ne citer que celles qui fonctionnent toujours) sont simples : bénévolat des enseignants – qui ne sont que défrayés de leurs éventuels frais de transport –, gratuité totale, absence d’examens comme d’inscriptions, et cours de deux heures, la première pour l’exposé, la seconde pour la discussion.

L’affluence est immédiatement au rendez-vous : 10 000 personnes dès la première année. Et un immense succès médiatique à la clé. […] 

Le public [de l'université populaire] est très majoritairement composé de retraités. Le cours de philosophie d’Onfray dans l’amphithéâtre du Centre dramatique national d’Hérouville-Saint-Clair, en périphérie de Caen, se tient devant un océan de calvities, de teintures et de cheveux blancs. […] 

Un public pas vraiment populaire […] ce qu’a confirmé la seule enquête sociologique menée, sur un petit échantillon de 200 participants réguliers. […]

Public fort peu populaire, autocratie du fondateur et inflation des notes de frais payées par les deniers publics [sont les] trois défauts de l’université populaire de Caen. […]  

On peut se demander si ce second Onfray, l’homme de la philosophie populaire enseignant, au demeurant avec une clarté remarquable, devant son public de ses universités, sans faire face au moindre contradicteur sérieux, n’a pas précipité l’émergence du troisième Onfray, celui que l’on connaît depuis une dizaine d’années : l’homme violent qui fait expulser d’une tribune sous les huées haineuses le philosophe Michael Paraire, invité à débattre avec lui de Camus aux Rencontres du livre et du vin de Balma (Haute-Garonne) en avril 2013, sous prétexte que Paraire est l’auteur d’un livre qualifiant l’œuvre d’Onfray d’imposture ; l’homme péremptoire qui, passant vite sur la présomption d’innocence, qualifie les inculpés de Tarnac de « bande de rigolos qui croit contribuer à l’avènement du grand soir en stoppant cent soixante TGV» ; l’homme qui, de diatribes contre la théorie du genre en affirmation qu’il existe « un choc des civilisations entre l’Occident localisé et moribond et l’Islam déterritorialisé en pleine santé », semble surfer sur l’air réactionnaire du temps, même s’il s’en défend. 

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« La gauche doit parler des pauvres, c’est en cela que je défends toujours une gauche antilibérale. Je n’ai pas changé, mais j’ai modifié mes combats à mesure que la gauche libérale, qui a pris comme chevaux de bataille la théorie du genre ou la location des utérus, a changé les siens », affirme-t-il. S’il est, en privé, ouvert à la discussion, le troisième Onfray ne doute jamais en public. Ni de ses haines : comme celles des monothéismes, de l’idéalisme allemand ou de la psychanalyse freudienne. Ni de ses vénérations, comme celles de Nietzsche, de Charlotte Corday ou d’Albert Camus. Le problème est que chacun de ses ouvrages sur ces questions a été étrillé par les spécialistes du domaine qui y ont relevé d’innombrables erreurs et approximations.

Le système Onfray […] se résume, au fond, en deux principes. 

Le premier est revendiqué explicitement, et ce depuis ses premiers livres : lire une œuvre philosophique à la lumière de la vie de son auteur. Toute pensée, pour Onfray, ne serait que « la confession d’un corps ». Pour préparer ses cours à l’université populaire de Caen, sa méthode est toujours la même : lire l’œuvre complète de l’auteur, puis ses biographies. Pourquoi pas ? L’idée n’est en tout cas pas nouvelle : c’était la méthode de Sainte-Beuve en matière de critique littéraire.

Elle a hélas montré ses faiblesses. Comment tout savoir de la vie d’un homme ? Comment démêler la légende de l’histoire ? Les anecdotes apocryphes des faits avérés ? Onfray, qui aime à nous décrire Diogène se masturbant avec un poisson, Spinoza torturant les insectes et Sartre d’une saleté répugnante, ne s’embarrasse pas de ces considérations. Si l’existence d’un homme influe à l’évidence sur son œuvre, celle-ci a aussi sa logique propre, liée à l’évolution du champ philosophique. Là encore, la contextualisation n’est pas le point fort de la méthode Onfray. « Cette causalité déterministe stricte du texte comme objet et reflet de la vie d’un auteur conduit à une méthode policière et inquisitoriale qui fait grand cas de misérables et invérifiables secrets d’alcôve », observe le philosophe et éditeur Michael Paraire.

Le second principe n’est, en revanche, guère assumé, et pour cause : il relève à l’évidence du christianisme honni. Pour Onfray, il y a le bien et le mal, les bons penseurs et les mauvais penseurs, les gentils et les méchants. « Ce n’est pas moi qui pense ainsi, mais toute la tradition occidentale », se défend-il. Peut-être. Mais Onfray ne tente en rien de s’affranchir de ce manichéisme. On peut décliner longuement cette série d’oppositions binaires qui structure son œuvre : Proudhon contre Marx, Schopenhauer contre Hegel, Camus contre Sartre… L'intégralité du texte est à retrouver sur le site de Mediapart (accès réservé aux abonnés)

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Michel Onfray est-il la nouvelle victime de Charlotte Corday? Depuis la fin du xviiie siècle, la liste de ceux dont l’« ange de l’assassinat » a fait perdre la tête ne cesse de s’allonger. S’il existe bien un retour de flamme pour Corday, gratifiée d’une section dans l’exposition « Crime et châtiment » au musée d’Orsay (16 mars – 27 juin 2010), le coming out d’Onfray ne peut que surprendre et inquiéter, surtout lorsque celui-ci reçoit la bénédiction de la critique la plus installée (Jérôme Garcin, « Michel Onfray : pour Charlotte », Le Nouvel Observateur, 5 mars 2009). Car cet éloge est un brûlot mal inspiré, jamais fondé, truffé d’erreurs, ponctué d’attaques haineuses, arbitraires et pour tout dire, populistes. Cliquer ici

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