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Contrôle au faciès. Cette "gauche" qui gouverne contre les quartiers populaires...


 "Valls est clairement du côté des policiers et des syndicats les plus réfractaires à l’idée de lutter contre les discriminations"


A quelques semaines du dixième anniversaire des révoltes urbaines de 2005, la décision gêne. Le gouvernement a décidé, mardi, de contester la décision de la cour d’appel de Paris de condamner l’Etat pour «faute lourde» dans cinq dossiers de contrôles policiers discriminatoires. C’est Manuel Valls, le Premier ministre, qui a tranché, en dépit de l’avis contraire de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, rapporte le Monde. En juin, Sihame Assbague, la porte-parole du collectif Stop les contrôles au faciès saluait la «décision géniale» de la cour d’appel. Trois mois plus tard, elle déchante. […] L’arrivée de la gauche au pouvoir n’a rien fait évoluer, surtout en ce qui concerne les quartiers populaires. Il y a autant de contrôles abusifs, de violences policières, qui entraînent toujours une quinzaine de décès tous les ans. Les pouvoirs publics sont déterminés à ne pas lutter contre les oppressions que subissent les habitants de ces quartiers.

C’est parce que rien n’a changé que nous appelons à une marche pour la dignité, le 31 octobre, entre Barbès et Bastille. Cliquer ici
 


|  Par Louise Fessard et Michaël Hajdenberg

À défaut de récépissé, la justice avait ouvert en juin 2015 une voie d'action aux personnes discriminées en condamnant l'État pour « faute lourde » dans cinq contrôles d’identité présentant « un caractère discriminatoire qui engage la responsabilité de l’État ». Mais le gouvernement socialiste a décidé de contester cette décision devant la Cour de cassation.

Comment passe-t-on en trois ans d’un objectif présidentiel de lutte contre les contrôles au faciès à la contestation de l’existence même de ces contrôles d’identité discriminatoires devant la justice ? Comme l’a révélé Le Monde, l'État s'est pourvu en cassation contre sa condamnation le 24 juin 2015, par la cour d’appel de Paris, pour « faute lourde » dans cinq cas de contrôle d’identité présentant « un caractère discriminatoire qui engage la responsabilité de l’État ».

Après l’abandon du récépissé pour les contrôles d’identité dès l’été 2012 lors de son passage place Beauvau, c’est à nouveau Manuel Valls, cette fois depuis Matignon, qui a tranché. Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve avait demandé un pourvoi, la garde des Sceaux Christiane Taubira n’en voulait pas et avait assuré qu’il n’y en aurait pas. Elle a dû une fois de plus manger son chapeau, même si elle s'en défend.

Contacté, Matignon dément tout « arbitrage » et assure qu’il ne s’agit pas d’un « sujet clivant ». Le ministère de la justice, après une expertise menée cet été, « partageait le souhait du ministère de l’intérieur d’aboutir à une harmonisation des règles en nous tournant vers la Cour de cassation », affirme le cabinet du Premier ministre. « Ce pourvoi s’inscrit dans le souhait de lutter contre les contrôles au faciès, avec les mini-caméras mises en place par Manuel Valls lorsqu’il était à l’Intérieur et le texte de Christiane Taubira sur les actions de groupe en matière de discrimination », nous explique-t-on le plus sérieusement du monde.

En avril 2012, treize Français, tous noirs ou arabes, avaient assigné l’État pour « pratique discriminatoire ». Ils demandaient au ministère de l’intérieur de prouver que les contrôles d’identité qu’ils avaient subis n’étaient pas fondés sur leur couleur de peau. Ils s’appuyaient sur la loi du 27 mai 2008 concernant la lutte contre les discriminations, qui prévoit que c’est au mis en cause de prouver que sa décision n’est pas fondée par un motif discriminatoire.

Cette loi, réservée « à la matière sociale et aux relations professionnelles », ne s’applique pas « au présent litige », ont répondu les juges de la cour d’appel. En revanche, en vertu de la jurisprudence européenne, face à un faisceau d’indices permettant de penser qu’il y a eu discrimination, c’est bien à l’autorité publique de « démontrer le caractère justifié de la différence de traitement », ont-ils tranché. Et face à des « présomptions graves, précises et concordantes » de contrôles au faciès, dans cinq des treize cas jugés, l’État français ne s’est pas montré capable de « démontrer en quoi le contrôle systématique et exclusif d’un type de population, en raison de sa couleur de peau ou de son origine (…) était justifié ». « Une violation aussi flagrante des droits de la personne ne peut dès lors que constituer une faute lourde engageant directement la responsabilité de l’État », concluaient les juges.

En revanche, dans huit autres cas, la cour d’appel avait décidé de ne pas condamner l’État, le plus souvent au motif de la « dangerosité de la zone » dans laquelle le contrôle avait eu lieu, souvent des quartiers sensibles comme Vaulx-en-Velin (Rhône) ou Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Les huit déboutés ont contesté fin août ces décisions de rejet de leur appel. « Sur le principe, c’est très gênant de dire qu’il existe des quartiers dans lesquels il serait naturel de contrôler des Noirs ou des Arabes parce qu’il s’agit de zones de trafic de stupéfiants », estime Me Slim Ben Achour, avocat des 13 plaignants avec Me Félix de Belloy.

Au passage, les juges avaient taclé l’abandon par le gouvernement socialiste du récépissé pour les contrôles au faciès. Cette absence « d’obligation de traçabilité » constitue selon eux « une entrave au contrôle juridictionnel ». C’est ce point précis qui, selon le ministère de l’intérieur, motive son pourvoi en cassation. « La cour d’appel de Paris a jugé que le contrôle sans suite pénale et sans récépissé est une atteinte au droit au recours au sens de la Cour européenne des droits de l’Homme, nous indique-t-on au ministère de l’intérieur. Nous allons contester ce point. » 

Cette décision de la cour d’appel créait une voie d’action précieuse pour les personnes s’estimant discriminées lors de contrôles policiers, malgré l'absence de trace écrite du contrôle d'identité faute de récépissé. Manifestement, le gouvernement n’en veut pas. Deux jours après une manifestation policière sous les fenêtres de la garde des Sceaux et à quelques jours du dixième anniversaire des révoltes urbaines de 2005 dans les quartiers populaires, le message envoyé aux forces de l’ordre est clair. « C’est un blanc-seing, estime Slim Ben Achour. Le gouvernement décrit l’existence d’un apartheid dans les ghettos en France, mais soutient que les règles d’égalité et de non-discrimination ne s’appliquent pas à ses propres fonctionnaires de police ! Dans les faits, il assume donc des pratiques de ségrégation. On est dans l’illustration des propos d’Alain Vidalis [qui avait déclaré le 24 août 2014 qu’il préférait "qu’on discrimine effectivement pour être efficace, plutôt que de rester spectateur" – ndlr]. »

Peut-être soucieux de ne pas perdre la face, le ministère de la justice fait une analyse radicalement différente, qui ne rejoint ni celle des avocats, ni celle du ministère de l'intérieur : « Il n'y a pas eu d'arbitrage perdu. Le Gouvernement avait décidé de ne pas se pourvoir en cassation contre ces arrêts dont la motivation lui convenait. La garde des Sceaux avait été suivie par Matignon. Puis il y a eu un élément nouveau : des personnes déboutées par la cour d'appel ont formé des pourvois en cassation. La conséquence était claire : quoi que le Gouvernement fasse, la Cour de cassation allait être saisie. Dès lors cela n'aurait eu aucun sens que l'État ne fasse pas de pourvoi en cassation contre les arrêts de la cour d'appel qui le condamnaient lui. Il semblait inopportun de laisser, du fait d'une absence de recours, des arrêts de Cour d'appel bénéficier de l'autorité de la chose jugée alors que la Cour de cassation pourrait censurer une motivation similaire dans d'autres arrêts qui lui seraient déférés. Si la cour de cassation confirme la motivation des arrêts de la cour d'appel, cette motivation aura plus de force qu'exprimée au niveau d'une cour d'appel. »

Une justification alambiquée, qui pourrait cependant avoir une vertu : les avocats des contrôlés espèrent profiter d’un climat juridique « plutôt favorable » pour « consolider au plus haut niveau » les décisions de la cour d’appel.

Le défenseur des droits, Jacques Toubon, qui avait pesé dans le débat en expliquant que « les autorités ont le devoir de prendre des mesures visant à prévenir et réprimer les actes discriminatoires », paraît aujourd'hui surpris : « Même si cette décision apparaît tardive, elle relève des prérogatives du ministère public. Je m'étais félicité des arrêts rendus en juin par la cour d’appel de Paris, je présenterai de nouveau mes observations devant la Cour de cassation. »

Dans un communiqué commun, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France, le Gisti, la fondation Open society justice initiative et trois autres associations dénoncent « le cynisme d’un État qui reste dans le déni des contrôles au faciès en France ». Ces huit organisations jugent cette décision du gouvernement « d’autant plus choquante que la lutte contre le racisme est la grande cause nationale de 2015 ». « La République ne connaît pas de races ni de couleurs de peau. Elle ne reconnaît pas de communautés. Elle ne connaît que des citoyens, libres et égaux en droits. Et ce n'est pas négociable », a encore rappelé François Hollande le 8 octobre 2015, lors de sa visite au mémorial du Camp des Milles à Aix-en-Provence.

« Plutôt que de contester des décisions qui le mettent en cause, le gouvernement devrait tirer les conséquences de ces décisions en introduisant un système de récépissé des contrôles et en modifiant le cadre législatif qui permet les contrôles (l’article 78-2 du Code de procédure pénale) afin d’autoriser uniquement des contrôles fondés sur des critères objectifs », plaident ces huit organisations.

« On espérait que l’État ne tomberait pas aussi bas, mais on avait gardé l’option en tête, a réagi dans Libération Sihame Assbague, la porte-parole du collectif Stop les contrôles au faciès. La décision du mois de juin marquait une ouverture, une brèche dans le droit, et la reconnaissance de l’injustice que connaissent des millions de Français. » (L'article sur le site de Mediapart; accès réservé aux abonnés)

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A voir : à propos de l'un des quartiers populaires de Montpellier


"Un agent de la sécurité du ministère a failli être embarqué parce qu’il était… noir. Heureusement il a montré son badge à temps." (cliquer ici)

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Les équipes de l’Onzus ont produit un dernier rapport qui retrace une fois encore les différentes facettes des difficultés rencontrées par les quartiers. Certains indicateurs de mesure de la pauvreté signalent ainsi que les écarts se creusent entre les Zus et le reste du territoire, même si les Zus affichent des profils très contrastés. Sur le front de l’emploi, si le taux de chômage semble se stabiliser en Zus en 2013, il reste à un niveau élevé, à plus de 23% de la population active. Les difficultés d’accès à l’emploi frappent prioritairement les jeunes, les immigrés et les personnes d’un faible niveau d’études. Néanmoins, une étude développée dans le rapport montre que même le fait d’être diplômé n’a pas été suffisamment protecteur vis-à-vis de la crise économique pour les résidents des Zus. Enfin, l’état de santé des adultes résidant en Zus continue d’être préoccupant, avec un renoncement aux soins plus élevé et un recours moins fréquent aux médecins spécialistes. Cliquer ici


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  Le journalisme en banlieue se caractérise par un important turnover empêchant les journalistes de connaître leur sujet, de se constituer et d’entretenir des relations sur le terrain et, ainsi, de se familiariser avec ces lieux et leurs populations. Parallèlement, on observe le fort recul d’un journalisme «   engagé  » au profit d’un modèle «  professionnel  », en même temps que la dimension technique du métier a pris le pas sur la dimension «  intellectuelle  ». Cliquer ici


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